Le petit Gabin illustré par l'exemple
A l'occasion de la publication du Petit gabin illustré par l'exemple, par notre ami Philippe Durant, nous avons souhaité lui demander pourquoi consacrer un ouvrage aux mots d'un acteur. Gabin est une légende, aussi bien pour ses qualités d'acteur, sa longévité que ses coups de gueule. Alors entrer dans l'intimité d'une légende par son rapport direct aux mots, et à la façon dont il a pu s'approprier ceux écrits pour lui par d'autres. Portraits du dab par dialoguistes interposés !
- Il existe déjà un ouvrage intitulé Les mots de Gabin, en quoi le vôtre s'en différencie-t-il ?
- Vous avez consacré un précédent ouvrage à Audiard, qui est auteur. Pourquoi choisir Gabin, qui n'est "que" acteur et donc pas l'auteur des mots dont vous estimez qu'ils forment un portrait de lui ?
Parce que Gabin fait partie de ces
acteurs qui avaient leur propre langage auquel les dialoguistes, dont
Audiard, s'adaptaient. Comme il le disait lui-même, il retravaillait
ses dialogues pour les avoir bien "en bouche". Ses
répliques ne pouvaient être dites que par lui et personne d'autre,
sinon elles auraient sonné faux. Simone Signoret disait qu'à
regarder tous les films d'un acteur, on pouvait discerner l'homme (ou
la femme) se cachant derrière. C'est valable aussi avec les
dialogues.
- Vous voulez dire que Gabin avait non seulement des dialogues sur mesure et qu'en plus il les re-personnalisait ?
Exactement. Mais il s’agissait de
sa part de petites retouches.
- Jamais un
dialoguiste pointilleux et fier de son œuvre n'a forcé le dab ?
Quand on avait une « machine à dire des textes » de la trempe de Gabin, on faisait en sorte qu’il soit le plus à l’aise possible avec les dialogues car rarement un acteur français a donné une telle puissance aux mots.
- Quel est le lien entre le Gabin de cinéma et celui de la vraie vie ? Sa façon de parler était-elle la même ?
Oui, ils employaient le même
vocabulaire. Et, ce qui est frappant, c'est que Gabin pouvait très
bien manier l'argot (qu'il avait découvert très jeune) ou un
langage très châtié, dans la vie (dans ses interviews, par
exemple) comme au cinéma (Les grandes familles, entre
autres)
- Personne n'a réussi à lui faire dire des dialogues à contre-emploi ?
Il n’y a pas
de contre-emploi (terme que je déteste, désolé) avec Gabin car il
pouvait quasiment tout jouer. Une engeance capable de jouer La
grande illusion, Le cave se rebiffe, Le Quai des brumes, La bandera,
La traversée de Paris, Un singe en hiver, L’Affaire Dominici…
il n’y en avait quand même pas des masses sur le marché. Son seul
« contre-emploi » est Ponce Pilate dans Golgotha
mais il l’a regretté car il se sentait, et se savait, ridicule.
- On peine à imaginer Gabin dans un rôle de sous-fifre, c'est un "patron". Son langage s'en ressent-il ?
Erreur ! De La Bête humaine au Chat, en passant par Des gens sans importance ou Rue des prairies, Gabin a beaucoup joué les ouvriers, pour ne pas dire les prolétaires. Sa palette de rôles est beaucoup plus étendue que ses détracteurs se sont échinés à le faire croire. D'où un vocabulaire très riche qui va du sans-grade au chef d'entreprise, du soldat au gangster.
Langage
Gabin, peut-être, mais il y a quand même un certain nombre
d'expressions qui sont plutôt liées à une époque qu'à un
bonhomme. "Grisbi", par exemple, est devenu légendaire
dans la bouche de Maître Follase. En quoi un tel mot peut-il être
considéré comme une gabinade ?
Il y a des mots
propres à Gabin et des mots propres à une époque ou à une
certaine langue (l'argot). Leur point commun : avoir été dits
par Gabin ! Mon but, rappelons-le, est de permettre aux
lecteurs/spectateurs de mieux "comprendre" les films
interprétés par le susdit et de repérer quelques liens entre sa
propre vie et ses personnages. Je n'ai pas commis une thèse
universitaire, Dieu m'en garde, mais un, opuscule que j’espère à
la fois instructif, un poil nostalgique et un chouia marrant. Pour
parler de "grisbi" rappelons que c'est un terme finalement
peu usité et qu'en l'utilisant, nos fameux tontons ont
volontairement rendu hommage à Gabin (idem pour le « pyjama »).
Propos recueillis par Loïc Di Stefano
Philippe Durant, Le petit Gabin, illustré par l'exemple, Nouveau Monde, novembre 2012, 14,90 euros
2 commentaires
Gabin n'a pas eu qu'Audiard comme dialoguiste. Avant Guerre, il a eu Prévert aussi. Je salue l'ouvrage qui permet de voir qu'un acteur de la trempe de Jean Gabin peut être aussi auteur de ses films. Je signale qu'à Hollywood, John Wayne et Cary Grand avaient aussi tendance à recréer leurs dialogues.
le rapprochement Gabin / Wayne est assez intéressant