Le petit Gabin illustré par l'exemple

A l'occasion de la publication du Petit gabin illustré par l'exemple, par notre ami Philippe Durant, nous avons souhaité lui demander pourquoi consacrer un ouvrage aux mots d'un acteur. Gabin est une légende, aussi bien pour ses qualités d'acteur, sa longévité que ses coups de gueule. Alors entrer dans l'intimité d'une légende par son rapport direct aux  mots, et à la façon dont il a pu s'approprier ceux écrits pour lui par d'autres. Portraits du dab par dialoguistes interposés !



- Il existe déjà un ouvrage intitulé Les mots de Gabin, en quoi le vôtre s'en différencie-t-il ?

Contrairement aux apparences, je n'ai pas fait un recueil de citations tirées de films ou d'interviews de Gabin. Je me suis efforcé de mettre en exergue certains mots, replacés dans leur contexte, qui m'ont paru originaux ou peu usités et de les expliquer. J'ai aussi sélectionné et expliqué des phrases dites par Gabin ayant une résonance dans sa propre vie. Au final, le livre compte 20% de répliques et 80% d'explications qui, je le confesse, sont souvent déclinées sur un ton loufoque...


- Vous avez consacré un précédent ouvrage à Audiard, qui est auteur. Pourquoi choisir Gabin, qui n'est "que" acteur et donc pas l'auteur des mots dont vous estimez qu'ils forment un portrait de lui ?

Parce que Gabin fait partie de ces acteurs qui avaient leur propre langage auquel les dialoguistes, dont Audiard, s'adaptaient. Comme il le disait lui-même, il retravaillait ses dialogues pour les avoir bien "en bouche". Ses répliques ne pouvaient être dites que par lui et personne d'autre, sinon elles auraient sonné faux. Simone Signoret disait qu'à regarder tous les films d'un acteur, on pouvait discerner l'homme (ou la femme) se cachant derrière. C'est valable aussi avec les dialogues.


- Vous voulez dire que Gabin avait non seulement des dialogues sur mesure et qu'en plus il les re-personnalisait ?

Exactement. Mais il s’agissait de sa part de petites retouches.


- Jamais un dialoguiste pointilleux et fier de son œuvre n'a forcé le dab ?


Quand on avait une « machine à dire des textes » de la trempe de Gabin, on faisait en sorte qu’il soit le plus à l’aise possible avec les dialogues car rarement un acteur français a donné une telle puissance aux mots.


- Quel est le lien entre le Gabin de cinéma et celui de la vraie vie ? Sa façon de parler était-elle la même ?

Oui, ils employaient le même vocabulaire. Et, ce qui est frappant, c'est que Gabin pouvait très bien manier l'argot (qu'il avait découvert très jeune) ou un langage très châtié, dans la vie (dans ses interviews, par exemple) comme au cinéma (Les grandes familles, entre autres) 


- Personne n'a réussi à lui faire dire des dialogues à contre-emploi ?

Il n’y a pas de contre-emploi (terme que je déteste, désolé) avec Gabin car il pouvait quasiment tout jouer. Une engeance capable de jouer La grande illusion, Le cave se rebiffe, Le Quai des brumes, La bandera, La traversée de Paris, Un singe en hiver, L’Affaire Dominici… il n’y en avait quand même pas des masses sur le marché. Son seul « contre-emploi » est Ponce Pilate dans Golgotha mais il l’a regretté car il se sentait, et se savait, ridicule.


- On peine à imaginer Gabin dans un rôle de sous-fifre, c'est un "patron". Son langage s'en ressent-il ?

Erreur ! De La Bête humaine au Chat, en passant par Des gens sans importance ou Rue des prairies, Gabin a beaucoup joué les ouvriers, pour ne pas dire les prolétaires. Sa palette de rôles est beaucoup plus étendue que ses détracteurs se sont échinés à le faire croire. D'où un vocabulaire très riche qui va du sans-grade au chef d'entreprise, du soldat au gangster.


Langage Gabin, peut-être, mais il y a quand même un certain nombre d'expressions qui sont plutôt liées à une époque qu'à un bonhomme. "Grisbi", par exemple, est devenu légendaire dans la bouche de Maître Follase. En quoi un tel mot peut-il être considéré comme une gabinade ?

Il y a des mots propres à Gabin et des mots propres à une époque ou à une certaine langue (l'argot). Leur point commun : avoir été dits par Gabin ! Mon but, rappelons-le, est de permettre aux lecteurs/spectateurs de mieux "comprendre" les films interprétés par le susdit et de repérer quelques liens entre sa propre vie et ses personnages. Je n'ai pas commis une thèse universitaire, Dieu m'en garde, mais un, opuscule que j’espère à la fois instructif, un poil nostalgique et un chouia marrant. Pour parler de "grisbi" rappelons que c'est un terme finalement peu usité et qu'en l'utilisant, nos fameux tontons ont volontairement rendu hommage à Gabin (idem pour le « pyjama »).


Propos recueillis par Loïc Di Stefano


Philippe Durant, Le petit Gabin, illustré par l'exemple, Nouveau Monde, novembre 2012, 14,90 euros

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2 commentaires

Gabin n'a pas eu qu'Audiard comme dialoguiste.  Avant Guerre, il a eu Prévert aussi. Je salue l'ouvrage qui permet de voir qu'un acteur de la trempe de Jean Gabin peut être aussi auteur de ses films. Je signale qu'à Hollywood, John Wayne et Cary Grand avaient aussi tendance à recréer leurs dialogues.

le rapprochement Gabin / Wayne est assez intéressant