"Young Yakuza" de Jean pierre Limosin : immersion dans la pègre japonaise

         Toujours fasciné par le Japon et sa culture, le réalisateur s’immisce ici dans l’une des organisations la plus criminelle, celle des Yakuzas. C’est à travers cette communauté qu’il tente de dresser un portrait d’un jeune japonais se trouvant face à un dilemme qui décidera de son futur. Le jeune Naoki, au chômage et désœuvré, est placé par sa mère en apprentissage au sein d’un clan Yakuza, Kumagai-gumi. Pendant un an, il vit et travaille sous leurs ordres. Apres cette année, il doit choisir entre rester ou quitter ce milieu. Le travail de Jean Pierre Limosin oscille entre fiction et documentaire dans son immersion  presque secrète dans un univers qui donne l’impression de s'écrouler. 

       

          Avant le tournage, le réalisateur a reçu l’ordre de ne pas filmer les activités illégales du clan mafieux. De prime abord, cette contrainte peut sembler être une déception et un manque  d’exhaustivité d’un travail documentaire. Mais, elle lui confère en fait toute son étrangeté et son originalité au lieu d’entraver la démarche documentaire. Limosin s’invite alors dans ce monde marginal et y pénètre silencieusement. La contrainte va faire de ce documentaire une observation plus qu’une investigation.   Le réalisateur n’explique rien, ne donne pas son avis, il est invisible et se contente d’observer. On voit d’ailleurs qu’il n’y a pas d'enquête, pas de pédagogie, aucune explication, encore moins de voix off. On ne voit que quelques scènes d'entretiens avec le chef mais filmées sur le ton de la confidence. La caméra prend alors la place de ce personnage absent à l'image mais présent à chaque plan. Dans ce documentaire, le réalisateur se fait très discret. Il ne fait que suivre les protagonistes et s’efface devant cette mise en scène dont il n’est pas l’auteur. La réalité est elle-même une fiction, alors il se contente de la filmer et de recueillir les images. En plus, on voit qu’il ne dirige pas ses entretiens puisqu’à aucun moment, il ne va poser une question et donner une tournure à leur dialogue. Limosin reste ici passif. Il n’est pas moralisateur et ne tente pas non plus de sublimer l’image de qui que ce soit. Tout semble donc filmé comme une fiction, avec ses héros, ses seconds rôles, et même sa structure dramatique.  On assiste même quelques fois à des techniques de tournage propres au cinéma et aux fictions telles que le champ contre champ (à la minute 79 par exemple lorsqu’un yakuza parle avec la femme d’un yakuza emprisonné.)  A cela s'ajoute une structure dramatique digne d’une véritable fiction établie grâce au recrutement du jeune Naoki avec lequel on rentre dans le milieu de la pègre nippone, ce milieu qu’on découvre  grâce à lui et donc à travers le regard de la jeunesse.

          Ce point permet au réalisateur de soulever un vrai problème qui est le conflit de génération et l’état social et culturel dans lequel cette société se retrouve.

          Le documentaire est structuré sur deux parties. Une partie est consacrée au jeune Naoki et une deuxième partie centrée sur le chef du clan Kumagai-gumi. Dans la première partie où la caméra suit Naoki dans son initiation, on voit ce dernier répéter des gestes qu’il doit apprendre par cœur, comme lorsqu’il apprend à saluer le chef ou à mettre son couvert… Ces gestes sont comme des rituels, des rituels que le jeune doit apprendre pour intégrer le gang. Car une grande partie du film n'est consacré qu'à ça, au quotidien, à sa mécanique, son enregistrement, jusqu'à des détails infimes, prosaïques, qui progressivement vont montrer comment le clan est aussi une famille. Cet esprit de famille, c’est ce par quoi se caractérise la pègre nippone. Cette société régie par ses propres codes et valeurs  telles que le courage et l’honneur s’inscrit dans un modèle sociétale archaïque et anachronique pour un jeune comme Naoki. On peut d’ailleurs penser que la mère de Naoki leur confie leur fils pour un vrai parcours initiatique afin  qu’il apprenne a se prendre en main et devienne un ‘’homme’’ capable de gérer ses responsabilités. Notamment, au début du film, lorsqu’elle parle avec un yakuza qui tente de la persuader pour recruter le jeune, il lui dit : « Tout le monde connait Kumagai ici, on le suit depuis qu’il est jeune, on sait comment il a gravi les échelons pour en arriver là. » Il essaye ici de la mettre en confiance en parlant du chef qu’il érige en tant qu’exemple à suivre. Mais ce qui crée un rebondissement dans le documentaire, c’est la fuite de Naoki qui semble ne pas s’être intégré à ce milieu. Cette fuite montre aussi qu’il existe un conflit entre ces deux générations que tout oppose jusqu'à la musique. A la 44eme minute, on voit un homme âgé parler du rap en avouant qu’il n’y comprend pas grand-chose. Cette musique de jeune, le hip hop, revient à plusieurs reprises dans le documentaire comme un leitmotiv qui semble être une revendication de la jeunesse qui fait face aux difficultés de la vie, incomprise par la génération qui les précède. En somme, nous pouvons dire que d'un côté il y a la jeunesse, le présent, l'actuel (relayé par des plages musicales, parfois judicieusement mises en images, avec un groupe de Hip Hop), de l'autre le passé, celui qui tente de faire tenir son clan et avec lui des valeurs, une rigueur morale. Le boss est celui qu'on écoute, moins celui avec qui on dialogue. Sa parole sera ainsi le relais d'un idéal qui s’éteint, celui d'une lente disparition à laquelle semble promise les yakuzas. Le film crée alors ce sentiment d'assister à un déclin, à une race en voie d'extinction qui est celle du chef Yakuza, déjà nostalgique des valeurs qui régissent l'organisation. Il incarne une figure paternelle. Il protège ses hommes, c'est un fidèle, il ne cache pas ses activités, mais travaille son image, le film en est la preuve. Face à cette fermeté et cette opacité, la jeunesse qu’incarnent ici les rappeurs répond en disant : « L’empire de la beauté est plus grand que le monde de la morale. » Cette phrase que dit à la fin un jeune alors qu’il parle avec Naoki, montre l’aspiration de cette jeunesse à vouloir s’ouvrir, se déployer et se libérer du joug de la tradition.

        

            Dans ce documentaire de Jean Pierre Limosin, on plonge dans un univers complètement diffèrent et étrange. Le réalisateur s’immisce discrètement dans une communauté (les yakuzas) qui n’a plus de crédibilité auprès d’une jeunesse qui aspire à la liberté. Le documentaire est filmé comme une fiction avec ces rebondissements dramatiques comme par exemple lorsque Naoki prend la fuite et disparait du regard de la pègre. Loin d’être une investigation, ce film peut aussi être interprété comme un hommage à la revendication de liberté d’une jeunesse incomprise. Cette œuvre montre un Japon en mutation en mettant en scène le crépuscule de la Tradition.     

            


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