Polanski ne craint pas d’entonner : « Let’s Oliver Twist Again ». Mais il chante un peu moins juste que dans le Pianiste.

TWIST OF FATE

Même si le dossier de presse affirme péremptoirement que Polanski a choisi de tourner Oliver Twist parce qu’il désirait faire un film qui fût le plus différent possible du Pianiste, ce qui frappe d’emblée, au contraire, c’est la ressemblance foncière entre les deux sujets, et on ne peut s’empêcher de penser que ce n’est pas par hasard que le réalisateur a eu recours dans les deux cas aux services du même scénariste, Ronald Harwood.

Car que nous raconte ici Polanski, sinon, encore et toujours, l’histoire d’un survivant ? D’un personnage qui semble condamné à mourir, mais qui, malgré les circonstances, parvient à s’en sortir, grâce à une obsession déraisonnable qui le fait s’accrocher à des valeurs totalement incongrues. Quand l’amour de la musique sauvait le pianiste emporté dans l’horreur nazie, c’est son innocence, son respect de l’honnêteté qui permet à Oliver Twist de ne pas être broyé par un univers de crapules. Il n’est pas interdit de penser que, même si, comme il le dit, Polanski a fait ce nouveau film d’abord à l’intention de ses enfants, c’est parce qu’il avait envie de leur raconter indirectement l’histoire de sa propre jeunesse et de sa propre survie.

Peu d’œuvres sont donc a priori plus sincères que cette adaptation d’Oliver Twist. Et pourtant, le résultat laisse de marbre, ou presque, au moins pour trois raisons. D’abord parce que l’ensemble manque terriblement de nuances. La série d’injustices qui s’abattent sur le pauvre Oliver pendant toute la première heure est si démesurée qu’on a beaucoup de mal à y croire. Même si tout cela est historiquement vrai, le manichéisme des personnages est franchement ridicule. Les méchants sont beaucoup trop méchants, et les bons beaucoup trop bons. Pour être plus précis, le fait que les personnages soient méchants ou bons n’est pas gênant en soi ; seulement, on ne nous explique jamais clairement pourquoi ou comment ils sont devenus ce qu’ils sont. Polanski déclare qu’il a voulu montrer les ravages de la révolution industrielle, mais, à part une brève scène de retraitement de cordages de bateaux au début et, ailleurs, un peu de fog sur un pont de Londres, on cherchera en vain dans le film des représentations nettes de l’industrie conquérante. On se déplace encore à pied ou en diligence. Peut-être que tout était clair pour les contemporains de Dickens, mais un travail d’adaptation, allant peut-être jusqu’à transposer l’histoire dans la réalité du XXIe siècle — puisque, comme le rappelle Polanski lui-même, l’esclavage des enfants existe encore aujourd’hui dans diverses parties du monde —, aurait dû être fait, et ne l’a pas été.

Face, donc, à des rôles taillés à la hache, les acteurs, enfants et vieillards, choisissent le plus souvent la politique du pire, et cabotinent à qui mieux mieux. Ben Kingsley ne manque pas une occasion de se tortiller dans tous les sens, mais, si son Fagin lui vaut le deuxième Oscar qu’il semble réclamer chaque fois qu’il apparaît, c’est autant à sa maquilleuse qu’à lui-même qu’il le devra. On aimerait bien se laisser emporter, oublier qu’on assiste à un spectacle, mais, pendant deux heures, on ne parvient pas à voir autre chose sur l’écran que des gens qui s’amusent à interpréter Oliver Twist.

De ce point de vue, le décor est sans doute de loin l’acteur qui joue le plus mal. Polanski déclare, et là encore tout à fait justement, que Londres est l’un des principaux personnages d’Oliver Twist. Mais, puisque le destin, dans cette histoire, a le visage de la misère, il faudrait nous montrer un Londres crasseux, des intérieurs repoussants, des gens dépenaillés, des vêtements en loques. Or rien de tout cela. Au contraire, l’argent qu’a dû coûter cette vaste production envahit l’écran de manière obsédante. Oliver Twist, même lorsqu’il s’est roulé dans la boue, garde un visage immaculé. Et le jugement que porte sur lui à un moment donné l’un des personnages, « You are as good as new », peut s’appliquer à la totalité du film : les costumes des figurants semblent sortir directement de chez le teinturier, et, s’ils sont déchirés, ils ne sont jamais usés. Certaines masures ont l’air modeste, mais leurs murs ne sont jamais écaillés et les toits ont toujours toutes leurs tuiles. Le moindre trottoir de Paris est aujourd’hui plus sale que ceux du Londres représenté ici, même si l’on nous rappelle qu’on se débarrassait à l’époque des eaux sales en les jetant par la fenêtre au mépris des passants. 

Stanley Kubrick a déclaré un jour que le temps, que la littérature peut exprimer à l’aide de mille outils, était l’une des choses les plus difficiles à représenter sur un écran. Polanski n’a pas résolu ici cette difficulté de manière satisfaisante. Les luxueux décors d’Oliver Twist rappellent plus ceux des Harry Potter ou des Dracula de la Hammer qu’ils n’évoquent un monde en décomposition.

Maladresse humaine, ou incapacité congénitale du cinéma ? Nous revient ici en mémoire un commentaire de Topor sur l’appartement occupé par le héros du Locataire, film réalisé à partir d’un de ses romans par le même Polanski : « L’appartement que j’habitais dans ma jeunesse était bien plus crasseux que celui qu’on voit, mais peut-être est-ce le cinéma qui rend tout plus beau ? » Nous revient aussi une remarque du producteur britannique David Puttnam, expliquant que les films en noir et blanc étaient pour lui beaucoup plus réalistes que les films en couleurs, puisque, pendant des décennies, c’est en noir et blanc que le cinéma et la télévision lui avaient présenté les actualités. Peut-être est-ce donc en noir et blanc qu’il faudrait projeter l’Oliver Twist de Polanski. Peut-être faudrait-il injecter dans les images un contraste qui justifierait la violence des personnages.

Le mérite étrange de ce film est finalement de nous rappeler que, malgré l’omniprésente boulimie visuelle contemporaine, les mots restent sans doute plus porteurs de vérité que les images. C’est d’ailleurs la seule morale qui se dégage nettement du récit : de tous les personnages, le seul qui ait une vision juste des choses, c’est le libraire.

FAL


OLIVER TWIST
un film de Roman Polanski
d'après le roman de Charles Dickens
Avec Barney Clark, Ben Kingsley, Jamie Foreman 
2h05
sortie en salle octobre 2005
sortie en DVD avril 2006

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