Dans l’esprit du public, le nom de Christopher Lee est systématiquement associé à celui de Dracula, mais sa filmographie est gigantesque.

MORPHOLOGIE DU COMTE

Vincent Price est mort. Peter Cushing est mort. Et Christopher Lee, malgré ses quatre-vingts ans très passés, se porte plutôt bien, tellement bien, même, qu’on dirait qu’il a su arracher au comte Dracula (qui a largement contribué à sa gloire, mais qu’il voudrait voir moins souvent cité) le secret de la résurrection. Car l’histoire du cinéma offre peu de comebacks aussi surprenants que le sien.

Certes, sa filmographie se composant de plus de deux cent cinquante titres — on ne saurait d’ailleurs établir un nombre exact —, on ne s’étonnera pas qu’elle contienne du déchet. Mais la proportion de navets dépasse à certains moments l’imagination. Disons que Lee n’a pas craint de se commettre dans des films tels que Dent pour dent (avec Chuck Norris) ou Nom de code : Jaguar, ou encore dans des productions Eurociné telles que la Chute des aigles… Vous ne connaissez pas les productions Eurociné ? Eh bien, vous ne connaissez pas votre chance.

Laurent Aknin, dans la biographie de Lee qu’il vient de publier et malgré le caractère très respectueux du titre qu’il a choisi, Sir Christopher Lee, n’hésite pas à se demander dès les premières pages si ce comédien est un bon comédien. Car la question se pose. Lorsqu’on revoit aujourd’hui certains Dracula, plusieurs séquences remplies de ses grimaces hystériques sont particulièrement gratinées. Et, ironie du destin, certains films qui le firent sortir du ghetto du cinéma bis se signalent par leur authentique médiocrité : quand il décroche le rôle du méchant dans un « James Bond », il se retrouve dans l’Homme au pistolet d’or, autrement dit le plus mauvais épisode de toute la série ; quand il s’aventure dans un film catastrophe — le genre était très en vogue dans les années soixante-dix —, le film s’appelle les Naufragés du 747, et c’est effectivement un naufrage. Quant à The Wicker Man, qu’il ne manque jamais de présenter comme le zénith de toute sa carrière, c’est une histoire fantastique qui serait certainement passionnante si elle n’était totalement prévisible au bout de cinq minutes.

D’où vient alors la sidérante longévité de Lee ? Car, à l’heure qu’il est, aucun acteur n’aura au cinéma « couvert » comme lui plus de soixante ans. L’honnêteté oblige d’abord à dire qu’il n’a pas seulement tourné dans de mauvais films. Son Mycroft Holmes, frère de Sherlock, dans la Vie privée de Sherlock Holmes de Billy Wilder, s’impose dans les mémoires alors même qu’il n’apparaît que dans quelques scènes. Plusieurs Dracula de la Hammer gardent aujourd’hui encore un réel pouvoir de subversion.

Mais, au-delà des films, il y a un miracle Lee. Même s’il a pu, comme nous l’avons dit, distordre son visage de façon grotesque dans certains films ou être maquillé et habillé comme un croquemitaine de carnaval, Christopher Lee a, inversement, cette capacité, toute britannique sans doute, de ne jamais être ridicule dans les situations les plus ridicules, de garder constamment la sérénité de celui qui se moque du monde. Lorsqu’il fut l’invité du Fou du roi sur France Inter, il dut, comme tant d’autres avant lui et après lui, endurer la chronique grasse, lourde et vulgaire d’un qui se croyait drôle. Il étendit l’adversaire au tapis en glissant entre deux de ses bons mots : « Je suis content que je ne comprends pas tout. » La syntaxe laissait peut-être à désirer, mais on pourrait se demander si cette maladresse même ne faisait pas partie de son ironie vengeresse.

Car Lee — et c’est l’autre raison qui fait que, où qu’il soit, il ne semble jamais perdu — est capable de jouer dans un nombre de langues impressionnant. Il y a même certains films — y compris un « Sherlock Holmes » ! — dans lesquels il a été doublé par quelqu’un d’autre pour la version anglaise, puisqu’il les avait interprétés en v.o. dans une autre langue. On dit qu’il a énormément travaillé sa diction au début de sa carrière. Sa voix impeccable lui permet de faire tout passer.

Laurent Aknin précise à juste titre que sa biographie de Lee n’est pas une biographie, puisque l’homme est un homme sans histoires (l’autobiographie de Lee, Tall, Dark and Gruesome, est d’ailleurs extrêmement décevante, tant elle est fade). Lee a été pour lui le phare permettant d’explorer différents chapitres et registres de la production européenne et internationale de la seconde moitié du XXe siècle et de la première décennie du XXIe. Les plongées du comédien dans les bas fonds sont l’occasion de se rappeler qu’il fut un temps où les téléfilms se faisaient sur grand écran et s’appelaient Séries B. Sa résurrection spectaculaire nous entraîne au contraire vers les blockbusters. Tim Burton l’a invité dans sa Chocolaterie, George Lucas dans sa Guerre des étoiles, Peter Jackson dans son Seigneur des anneaux. Il aurait récemment déclaré qu’il était arrivé à un âge où il allait lui falloir réduire ses activités. Mais ceux qui l’entendent parler ainsi et qui l’ont vu jadis dans Scream and Scream Again ont encore dans l’oreille la réplique par laquelle il concluait le film : « It is just beginning. »


FAL

Laurent Aknin, Sir Christopher Lee, nouveau monde édition, avril 2011, 22,30 euros

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