"Dans les griffes de la Hammer. La France livrée au cinéma d’épouvante"

LE GOUT HAMMER

Dans les salles de cinéma des années soixante et soixante-dix, Dracula ne cessait de renaître de ses cendres et Frankenstein n’arrêtait pas de ranimer des cadavres. Nicolas Stanzick a voulu, lui, faire revivre toute cette période.

Il existe des jeunes gens étranges, capables d’éprouver de la nostalgie pour une époque qu’ils n’ont pas connue. Il est vrai que, dans le domaine du cinéma, le dvd a largement contribué à bouleverser la concordance des temps, puisque sont présentés chaque semaine comme des « nouveautés » des films sortis sur le grand écran il y a plusieurs décennies. Quoi qu’il en soit, Nicolas Stanzick, simple trentenaire, a voulu savoir « comment c’était », dans les sixties et dans les seventies, pour tous ceux qui ont découvert dès leur « première exclusivité » les films de la Hammer. 
    
Pour les béotiens qui ne sauraient pas ce qu’est, ou plutôt ce qu’a été la Hammer, rappelons en deux mots que c’est cette compagnie britannique qui, dans les années cinquante, eut la bonne idée de ressusciter, entre autres, deux grandes figures du cinéma fantastique, Dracula et Frankenstein. Le rôle du Comte revint presque toujours, pendant un quart de siècle, à Christopher Lee ; celui du Docteur à Peter Cushing.

Mais, comme nous l’avons déjà laissé entendre, Nicolas Stanzick s’intéresse moins à la Hammer qu’à ses « victimes », moins aux œuvres elles-mêmes qu’à leur réception (comme on dit dans tous les ouvrages de critique littéraire publiés depuis vingt ans), et c’est pourquoi il a intitulé son copieux ouvrage — plus de quatre cents pages — Dans les griffes de la Hammer. Si ce titre n’est pas suffisamment clair et si d’aucuns n’y voient qu’un jingle, le sous-titre, dans les pages intérieures, dissipe tout malentendu : La France livrée au cinéma d’épouvante.

Le volume se compose de deux parties à peu près égales : la première que, faute de mieux, on qualifiera pour l’instant d’historique, raconte le contexte (revues de l’époque consacrées au cinéma fantastique, salles spécialisées aux devantures couvertes de peintures criardes représentant des monstres de tout poil, Festival du Film fantastique et de science-fiction de Paris…) ; la seconde réunit toute une série d’interviews de gens qui « y étaient » et qui, pour la plupart, ont été les chevilles ouvrières de différentes revues de cinéma. L’auteur de ces lignes, qui — douloureux privilège de l’âge — a croisé et même assez bien connu un certain nombre de ces jeunes hommes dont certains sont maintenant sexa- et même septuagénaires, s’est évidemment précipité sur cette seconde partie. Il convient de saluer le remarquable travail d’intervieweur accompli par Stanzick : tout comme on ressuscitait Dracula au début de chacune de ses nouvelles aventures, il a, d’une certaine manière, en posant les questions qu’il fallait, redonné un coup de jeune à tous ces messieurs. Alain Schlockoff par exemple, qui a un peu tendance depuis quelque temps à recourir au pilotage automatique pour diriger sa revue l’Écran fantastique, retrouve ici, quand il évoque le rôle qui était le sien en tant qu’organisateur du Festival de Paris, l’énergie tranquille, la précision et la rigueur d’analyse qui faisaient son charme dans les années soixante-dix. Noël Simsolo s’affiche comme le Croisé qui sut imposer aux Infidèles le culte de la Hammer (et aussi celui des westerns de Sergio Leone). Gérard Lenne évoque l’émerveillement qui fut le sien lorsqu’il découvrit pour la première fois l’affiche du Cauchemar de Dracula qui illustre la couverture de l’ouvrage… Bref, on s’y croirait. Il paraît que même les lecteurs jeunes choisissent de lire le livre en commençant par cette seconde partie. Ils n’ont pas tort.

Car la première partie, de fait, est plus problématique. Il lui manque l’objectivité historique à laquelle elle prétend, dans la mesure où elle se nourrit essentiellement des témoignages qui composent la seconde partie (il y a même un certain nombre de redites qui auraient pu être évitées). La bonne foi de tous ces anciens n’est pas en cause, mais l’on sait que rien n’est plus fallacieux que la mémoire, et quand l’un d’entre eux se souvient d’une salle du Festival de Paris muette et fascinée par le réalisateur Terence Fisher et son interprète Peter Cushing, nous nous souvenons, nous, d’un Cushing certes ravi du prix qui venait de lui être attribué, mais lisant, pour montrer sa gratitude, un texte en français auquel il ne comprenait lui-même absolument rien et auquel le public ne comprenait strictement rien non plus, tant son accent anglais était effrayant. 
   
En outre, s’interroger sur l’effet qu’ont pu produire tous ces Hammer Films à l’époque ne devrait pas  dispenser de poser la question, certes un peu délicate, de leur valeur intrinsèque. Indubitablement, Christopher Lee ne manquait pas de prestance et a offert un Comte bien plus respectable que la caricature proposée avant guerre par Bela Lugosi. Assurément, et c’est ce qui a fait le succès de la Hammer, il y avait dans chaque film un soin artisanal qui imposait le respect et qui, comme l’explique Christophe Lemaire (le moins ancien des « anciens » interviewés), faisait qu’on savait chaque fois qu’on se retrouverait en pays de connaissance. Ce soin artisanal, méticuleux, ne rendait que plus forte la charge subversive de certaines histoires. On ne voyait pas grand-chose dans les films de la Hammer — et d’ailleurs, c’est quand les poitrines des héroïnes ont commencé à se dénuder franchement que la décadence de la firme a commencé —, mais on y racontait des choses qu’on n’oserait peut-être plus raconter aujourd’hui : le prêtre du village se révélait être le serviteur le plus zélé de Dracula (Dracula et les femmes) ; une fille de bonne famille, sur les conseils du Comte, n’hésitait pas à occire son propre père (Une Messe pour Dracula). Et, comme on le souligne assez souvent dans l’ouvrage, la Hammer a, à sa manière, annoncé Mai 68.

Mais il ne faudrait pas pour autant considérer comme chef-d’œuvre tout film produit par la Hammer, et dissimuler sous le terme magique de « film-culte » quelques navets bien réels. Il est de bon ton de chanter les louanges des Vierges de Satan. Mais faut-il vraiment s’extasier devant les décors outrageusement bariolés de ce film et l’absence quasi-totale d’intrigue (au nom de l’occultisme, on tourne pendant une heure autour de trois bougies posées sur le plancher en attendant l’apparition d’un monstre à tête de bouc) ? Et la Nuit du loup-garou ? Malgré toute la séduisante bestialité d’Oliver Reed, il faut parfois se tenir à son fauteuil pour résister à Morphée. Enfin, quand Simsolo proclame que Frankenstein et le monstre de l’Enfer est un grand film, on se demande comment il ne voit pas la laideur — en partie reconnue par le réalisateur lui-même — qui caractérise cette dernière (ou presque) entreprise de la firme.

Ultime reproche, peut-être : le sujet même que s’est imposé Nicolas Stanzick. Bien sûr, ce serait faire preuve de la plus grande mauvaise foi que lui reprocher d’avoir écrit le livre qu’il a choisi d’écrire, et qu’il a la franchise, on l’a vu, de définir dès son titre. Il n’en reste pas moins qu’il y a une ou deux lacunes un peu gênantes dans l’affaire. D’abord, et même si, on veut bien le croire, c’est la critique française qui a donné à la Hammer ses lettres de noblesse, la Hammer n’a pas seulement pris dans ses griffes des citoyens français. Il eût été intéressant de savoir ce qui se passait à la même époque de l’autre côté de la Manche ou de l’Atlantique. La première partie fournit quelques indications à ce sujet, mais qui restent vraiment très succinctes. Ensuite, si l’on admet le principe même d’un ouvrage traitant plus d’une certaine cinéphilie française que de la grandeur et décadence d’une société de production cinématographique britannique, on se dit qu’on aurait pu aussi parler d’autres films qui faisaient partie du même paysage. Les spectateurs qui allaient voir les Frankenstein de la Hammer allaient aussi voir des films de Jean Rollin (ah ! cette Vampire nue, ce Frisson des vampires...), des gialli italiens, des films d’horreur mexicains, des films de Roger Corman… Comme on l’a dit, Simsolo ne peut s’empêcher d’évoquer Sergio Leone, qui n’a pourtant rien à voir avec la Hammer, quand on lui demande de parler de la Hammer, mais, ce faisant, il n’est pas vraiment « hors sujet ».

C’est pourquoi, tout en saluant l’ampleur impressionnante du travail de Nicolas Stanzick, nous suggérons à celui-ci de ne pas s’arrêter en si bon chemin et de s’abandonner à d’autres griffes pour concocter le grand livre qui n’a encore jamais été publié en France sur le cinéma bis des années soixante-quatre-vingt.

FAL

Nicolas Stanzick, Dans les griffes de la Hammer. La France livrée au cinéma d’épouvante, Scali, juillet 2008, 456 pages, 29 € 

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