"I Am Spartacus" de Kirk Douglas

Kirk Douglas l’invicible


Sorti en septembre 1961 en France, Spartacus se distingua d’emblée de la flopée de péplums tournés au même moment. Pas seulement du fait de la personnalité de son réalisateur, Stanley Kubrick, que seule une poignée de cinéphiles connaissait vraiment, mais par son ton. Spartacus ne voulait pas aligner les exploits physiques, montrer des bodybuildés au corps huilés, mais dire quelque chose. Cela put dérouter certains spectateurs qui, cette même année, lui préférèrent Le Cid, avec Charlton Heston, œuvre de facture nettement plus classique qui n’avait rien à voir avec la célèbre pièce (française !).


En fait Spartacus correspondait en plein à son époque. Non point l’époque du film mais l’époque du tournage : le maccarthysme. Cette tristement fameuse chasse aux sorcières qui voulait clouer au pilori toute personne soupçonnée d’avoir eu des idées procommunistes. Kirk Douglas, producteur et interprète, vit l’intérêt de la révolte d’un esclave pour dénoncer la mainmise d’une commission sénatoriale sur le monde du cinéma. Mais il alla encore plus loin en demandant à Dalton Trumbo, l’un des scénaristes mis au ban d’Hollywood, d’adapter le roman original. Kirk savait qu’il allait au clash avec la censure mais mena jusqu’au bout son combat avec un courage exemplaire.


Cinquante ans après, alors que lui-même avoue une mémoire un peu défaillante, vu son grand âge, Kirk Douglas revient en détails sur la genèse, le tournage et la sortie de ce film peu banal.


Même s’il s’attribue le beau rôle, il raconte tout avec précision. De l’idée première jusqu’aux ultimes coupures de la censure (la fameuse scène de bain entre Laurence Olivier et Tony Curtis qui fut rétablie ultérieurement). Cela fait de son livre un véritable reportage sur les lieux mêmes de l’action. Y compris les hésitations, les erreurs (Anthony Mann fut remplacé par Kubrick), les cabotinages, les pressions. Kirk s’efforce de ne rien oublier et cela rend son travail passionnant. Le lecteur assiste vraiment à la naissance du film et, une fois le livre fermé, n’a qu’une envie : se précipiter sur son lecteur DVD pour revisionner Spartacus (j’avoue ne pas l’avoir fait car j’ai souvent vu et revu cette production).


L’ardent cinéphile peut seulement regretter que le tournage proprement dit, et notamment l’attitude de Kubrick, soit insuffisamment développés mais il y a déjà tellement d’informations que c’est faire fine bouche de gourmand.

I Am Spartacus ! (réplique la plus célèbre du film qui faillit tomber à la trappe) est donc bel et bien un vrai livre de cinéma. Je tiens à le signaler car le cas est rare. Dans notre beau pays, notamment, on préfère disserter sur le cinéma, l’analyser que le faire vivre. Les auteurs ont trop souvent besoin d’expliciter au lecteur le pourquoi du comment. Or, un vrai livre de cinéma doit faire pénétrer dans la coulisse, donner l’agréable illusion de participer à la création d’une œuvre. Ce qu’a parfaitement réussi Kirk Douglas.


Cet ouvrage, qui parait chez nous peu après celui sur Diamants sur canapé (Sonatine) prouve à quel point les Américains aiment le cinéma. Il prouve aussi que Kirk Douglas, dont la filmographie ne compte pas que des chefs d’œuvre, sut être un producteur d’une rare efficacité. Il entrera dans le panthéon du septième art, le glaive de l’illustre gladiateur à la main. Avé Spartacus !


Philippe Durant 


Kirk Douglas, I Am SpartacusCapricci, juin 2013, 189 pages, 19 euros

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1 commentaire

Ce n'est pas le 1er livre de Kirk Douglas (et pas le dernier j'espère...), il avait déjà publié son autobiographie en plusieurs tomes (j'ai lu Le fils du chiffonnier, le 1er), et même quelques romans (que je ne connais pas).
Dans I am Spartacus, on peut apprécier les ruses (et hésitations) pour réunir le casting, et quelques informations sur la manière dont le film a été accueilli (y compris par le Président Kennedy).