Entretien avec Eran Riklis, réalisateur de "Mon Fils"


Histoire du juif Eran


« Après la Fiancée syrienne et les Citronniers, MON FILS », peut-on lire sur l’affiche. Rien de faux dans cette accroche, mais elle n’en ment pas moins par omission.

Quel que soit l’endroit où l’on se trouve, la distance jusqu’aux Enfers est exactement la même.
                                                                 Anaxagore de Clazomène


Inutile de chercher à briller en société en prononçant le nom d’Eran Riklis. Vous ne récolterez le plus souvent qu’un silence poli et des regards incertains. Évoquez donc la Fiancée syrienne si vous voulez avoir plus de succès. Et si vous voulez séduire définitivement tout votre auditoire, parlez des Citronniers. Tout le monde a vu les Citronniers ! Alors, mais alors seulement vous pourrez aimablement rappeler que le réalisateur de ces deux films se nomme Eran Riklis, et justice sera rendue. Un artiste, après tout, n’existe que par ses œuvres.

A ceci près que Riklis a tourné plusieurs autres films tout aussi importants que la Fiancée syrienne et que les Citronniers et que, comme il l’explique lui-même, tous ses films sont à considérer comme les chapitres d’un seul et unique grand film, constamment in progress, parce qu’ils illustrent tous un théorème pararimbaldien dont la démonstration, si juste soit-elle, est toujours à refaire. Je est peut-être un autre, mais, pour Riklis, je est surtout l’Autre. C’est ainsi que la femme du ministre israélien et la Palestinienne propriétaire des citronniers finissent par se reconnaître à travers tout ce qui les sépare. C’est ainsi que, dans Cup Final, le soldat Cohen enlevé par un commando palestinien se découvre bien vite une passion commune avec le chef du commando pour l’équipe de football d’Italie. C’est ainsi que, dans Zaytoun, il suffit que le pilote israélien obligé de s’éjecter de son avion abattu par la DCA palestinienne se couvre d’un kéfié pour passer sans difficulté pour un Palestinien. C’est ainsi que, dans Playoff, l’entraîneur de basket israélien engagé pour redresser l’équipe de Francfort se découvre une certaine parenté avec les fils des bourreaux de son propre père. Arrêtons là la liste : film après film, Riklis fait sauter la notion d’identité telle qu’elle est communément comprise aujourd’hui. Si mal comprise… Loin de crier stérilement, comme tant d’autres, que a = a, il s’attache à prouver que a = b, ou mieux encore que a = b + c, puisque, nonobstant notre ADN, nous sommes tous la résultante de rencontres, de connaissances acquises, d’événements divers et variés. Seul notre orgueil nous fait croire que ce composé de bric et de broc qu’est notre être, que notre existence découlerait d’une essence. Si essence il y a, elle est à géométrie très variable.

Pourquoi cette démonstration est-elle toujours à refaire ? Parce que, comme nous venons de le dire, elle touche à notre orgueil, c’est-à-dire à la partie la plus obstinée et la plus aveugle de nous-mêmes. Mais aussi parce qu’il y a toujours un grain de sable qui vient s’immiscer dans la conclusion. Il faut toute la mauvaise foi de certains critiques français pour reprocher à Riklis de faire des films qui ne seraient que des contes de fées. A-t-on oublié ce mur de béton qui vient obstruer la vue à la fin des Citronniers ? ou ces grilles qui hantent d’un bout à l’autre la Fiancée syrienne ? Riklis ne craint pas de flirter avec l’absurde. Le Voyage du directeur des ressources humaines raconte, comme son titre l’indique, les différentes et difficiles étapes d’un voyage nécessaire, mais qui se révélera in fine parfaitement inutile. Et le héros de son dernier film, Mon Fils, ne devient Israélien à part entière que pour aller s’exiler en Allemagne — si tant est que le mot exil ait un sens pour le réalisateur.

Riklis, nouveau Sisyphe ? Pas tout à fait. Riklis, pas plus que Sisyphe, n’arrive à faire passer son rocher de l’autre côté de la montagne, mais, à la différence de celui-ci, il pousse chaque fois un rocher différent, un rocher plus gros et plus lourd. Ainsi, dans son nouveau film, s’il établit, comme d’habitude pourrait-on dire, une relation d’équivalence entre un juif israélien et un Arabe israélien, il fait en plus sauter cette frontière métaphysique, prétendument absolue, qui séparerait la vie et la mort. Le jeune juif, victime d’une maladie dégénérative qui ne lui laisse et ne nous laisse aucun espoir, sera d’une certaine manière — que nous ne préciserons pas — réincarné dans le jeune Arabe. Certains peut-être verront là quelque chose qui ressemble à un blasphème. Mais, comme la beauté, le blasphème est surtout dans l’œil de celui qui le regarde. D’autres verront sans doute plus justement, dans cette confusion entre l’âme et le corps, dans ce dérèglement, une défense et illustration de l’humanité, déployée avec une telle foi qu’elle acquiert très vite une dimension religieuse. Il n’y a pas de frontières chez Riklis parce qu’il n’y a tout simplement pas d’exil. Comment pourrait-il y avoir un exil puisque nous sommes tous, par définition et du fait de notre nature mortelle, des exilés ?



Avraham B. Yehoshua vous adresse-t-il encore la parole ? Vous portez à l’écran il y a quatre ans son roman le Responsable des ressources humaines (1), mais quand, dans Mon Fils, le héros dénonce tous les écrivains israéliens qui donnent une vision condescendante, sinon caricaturale, des Arabes, Yehoshua est inclus dans la liste !


Je crois qu’Avraham Yehoshua n’a pas encore vu le film. Peut-être, après avoir vu la scène en question, dira-til : « Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? », mais je fais confiance à son sens de l’humour. Je vais d’ailleurs essayer de tirer un scénario de son nouveau livre, qu’il m’a fait parvenir la semaine dernière, et qui s’intitule en hébreu la Figurante, magnifique portrait d’une femme à Jérusalem.

En fait, la tirade à laquelle vous faites allusion ne vient pas de moi, mais de Sayed Kashua [scénariste du film et auteur des deux romans qui ont servi de base au scénario (2)]. Je l’ai appelé simplement pour lui dire qu’il manquait dans le scénario une scène dans laquelle s’exprimerait le combat d’Iyad, le protagoniste, pour affirmer son identité arabe. Sayed m’a proposé de faire passer cela à travers un débat sur la littérature. Je lui ai dit : « Pourquoi pas ? », et je crois que la scène est réussie.


Ce clin d’œil à Avraham Joshua s’inscrit dans tout un jeu de renvois et d’échos qui incite à considérer tous vos films comme une entité. N’êtes-vous pas d’ailleurs un peu las de voir qu’on cite toujours à votre sujet la Fiancée syrienne ou les Citronniers, sans jamais mentionner par exemple Cup Final ou Playoff, qui sont des films tout aussi forts ?


Vous avez raison. Il me plaît d’envisager mon œuvre comme un seul et unique film, dans lequel j’essaie constamment d’aller plus loin — sauf erreur, Scorsese a défini en substance son travail de la même manière. En fait, je rêve d’un film que je pourrais tourner avec mes seuls yeux, sans caméra, sans objectifs, sans quincaillerie. J’éprouve toujours un sentiment de frustration quand je fais un zoom sur un visage et que je suis à un moment donné forcé de m’arrêter. Je voudrais toujours aller plus en profondeur.

Je ne me battrais pas bec et ongles pour défendre mon premier long métrage, On a Clear Day You Can See Damascus, qui était mon film de fin d’études, mais j’ai été amené à revoir récemment Cup Final, et j’ai été surpris de voir à quel point il n’avait rien perdu de son efficacité. Les comédiens sont étonnamment bons et le scénario est bien construit. Une chaîne de télévision a contribué à lui donner une seconde vie en 2002, en le programmant à l’occasion de la Coupe du Monde de football qui avait alors lieu au Japon et en Corée, mais ce film n’a jamais été distribué en France, alors même qu’il a été acheté en Angleterre, en Allemagne et en Italie. J’étais jeune et je ne connaissais encore personne dans votre pays. Mais on peut rêver d’un coffret qui réunirait Cup Final, la Fiancée syrienne et le Voyage du directeur des ressources humaines…


Parmi les échos qu’on peut trouver dans plusieurs de vos films, il y a ce décor composé de rangées de bancs vides : auditorium où se rencontrent les jeunes amoureux de Mon Fils, stade-hôpital dans Zaytoun, salle de sport dans Playoff.


Parce que, d’une manière ou d’une autre, tous mes films traitent de la solitude et d’un certain désarroi de l’individu face à la complexité du monde. Parce que, comme l’a dit le poète israélien Yehuda Amichai, quand il y a trois ou quatre personnes dans une pièce, il y en a toujours une qui se tient à côté de la fenêtre. C’est cette personne qui se tient à côté de la fenêtre que l’on retrouve dans mes personnages.

Il fallait, dans Mon Fils, que la rencontre entre les amoureux, tout en restant loin du monde, secrète, se situe dans un lieu où l’on puisse les voir. Nous avons adopté le principe shakespearien et tchékhovien — pensez à la Cerisaie — du théâtre dans le théâtre (le film étant lui-même un théâtre).

Dans Zaytoun, le choix d’un stade était tout simplement réaliste. Tous les stades de Beyrouth avaient réellement été transformés en hôpitaux ou en terrains d’entraînement. L’enfant, Ziko, attend dans ce stade et sent que quelque chose ne va pas sans savoir exactement quoi.

Cette vacuité de l’espace ne signifie pas vacuité des personnages. Bien au contraire : ils ont beaucoup de choses à dire, mais ils n’ont pas l’espace pour les dire. La scène de Playoff où l’on voit le héros, interprété par Danny Huston, perdu au milieu des sièges d’une salle de sport, a pour moi plusieurs sens. N’ayant pas été touché directement par l’Holocauste, je suis allé tourner en Allemagne en me disant que ce serait facile. La projection de ce film a suscité l’enthousiasme du public il y a quelques semaines lors d’un festival aux États-Unis, mais le tournage a été pour moi un cauchemar — entre autres parce que l’un des producteurs allemands a fait faillite en cours de route — et chaque séquence a été très difficile à tourner, y compris celle-là. Puis-je dire que quand Danny Huston se tient au milieu de ces sièges vides, il se tient au milieu des six millions de juifs disparus ? Arrive le soir et il trouve le capitaine de l’équipe de basket en train de s’entraîner. Il lui barre la route. « Vous m’empêchez de passer », lui dit l’autre. « Et alors, lui répond-il, tu vas me frapper ? » Cut. J’étais en train de pleurer et j’ai dû m’éloigner deux minutes, car je filmais à travers cette scène l’affrontement entre la nation juive et toute la nation allemande.


Quels rapports entretenez-vous exactement avec l’Allemagne ? Il y avait donc Francfort dans Playoff, et il y a maintenant dans Mon Fils cette conclusion à double fond qui dit qu’un Palestinien doit devenir juif israélien s’il veut avoir un avenir, à ceci près que cet avenir se situe à Berlin bien plus qu’en Israël. (Il y a d’ailleurs dans votre film une citation audio du film de Wim Wenders les Ailes du désir, dont le titre original allemand est le Ciel au-dessus de Berlin.)


J’ai choisi Berlin sans vraiment réfléchir. Pure intuition. Parce que Berlin est une ville où l’on peut disparaître, une ville où personne ne se préoccupe de savoir qui vous êtes. Beaucoup de jeunes Israéliens vont s’installer à Berlin, parce que la vie, le café, tout y est moins cher qu’en Israël. Même pour des gens qui, comme moi, ne sont pas vraiment de la vieille école, il y a là quelque chose de choquant. On dirait qu’ils se moquent éperdument de l’Histoire. Mais je ne saurais vous dire de façon précise ce que va devenir mon personnage.


Ces départs ne sont-ils pas la conséquence des incertitudes qui pèsent sur le territoire même d’Israël ? Autre thème récurrent dans vos films, celui de la « double carte ». Dans, Zaytoun, dans Cup Final, dans Mon Fils, il y a toujours un personnage qui rejette une carte d’Israël pour la remplacer par une carte de Palestine, ou l’inverse…


Oui, il y a aussi beaucoup de jeunes Arabes qui partent s’installer à Berlin. Je ne vois pas de frontières bien nettes dans cette région. Ma vision, ce serait les « États-Unis du Moyen Orient » : Liban, Syrie, Jordanie, Israël, Égypte — non, peut-être pas l’Égypte, parce que c’est un peu trop grand… Ce pourrait être une région merveilleuse. Tel Aviv et Beyrouth sont des villes magnifiques. Les frontières sur mes cartes sont flexibles. Malheureusement, le mot flexibilité n’est plus à la mode. On ne peut d’ailleurs plus prononcer une seule parole sans être immédiatement repris : « Quoi ! Qu’avez-vous dit là ? On ne parle pas comme cela… » Moi-même, depuis Cup Final, j’ai dû apprendre à être diplomate. Le film avait été sélectionné à Venise, les comédiens étaient très populaires en Israël, les personnages n’arrêtaient pas de parler de football… J’étais persuadé que je tenais un succès. Mais le film a dérangé beaucoup de gens en Israël. Il a fallu que je me tue à répéter : « Oui, c’est un film politique, mais c’est d’abord un film drôle. » Ce que, d’ailleurs, je pense sincèrement. Je ne vois pas l’intérêt de faire des films uniquement politiques, qui font peut-être le tour des festivals, mais qui ne vont jamais plus loin. Il y a beaucoup de films de ce type, y compris de films israéliens, mais je n’en nommerai aucun. Je veux, moi, toucher un large public, et je dois reconnaître que, de ce point de vue, Cup Final a été un coup d’épée dans l’eau. Inversement, hier, à l’avant-première de Mon Fils, il y avait devant moi une jeune fille qui engloutissait du popcorn, et cela ne m’a pas déplu : elle était venue là pour passer un bon moment.


Mon Fils, non content d’effacer la frontière entre juifs et Arabes, efface la frontière entre la vie et la mort. On ne voit pas très bien comment, après cela, vous pourriez aller « plus loin »…


Je travaille sur un projet qui s’intitule Refuge, et que j’envisage de tourner à Paris, mais qui pourrait tout aussi bien se situer à Londres. Ce sera mon premier véritable thriller, même si le conflit israélo-palestinien reste en toile de fond. Deux femmes dissimulées dans une planque : l’une, libanaise, qui travaille pour les Israéliens et qui vient de passer par la chirurgie esthétique pour avoir un nouveau visage ; l’autre, espionne israélienne chargée de la chapeauter pendant sa convalescence. A priori, rien ne devrait arriver. Mais, dans un thriller, tout peut arriver !


Dans le cadre de votre politique d’effacement systématique des frontières, n’avez-vous jamais songé à faire interpréter des juifs par des acteurs arabes, et vice-versa, comme Radu Mihaileanu a pu le faire dans Va, vis et deviens ?


J’ai souvent été tenté de le faire, mais je me suis toujours gardé de le faire et je me garderai toujours de le faire. D’abord parce que ce ne sont pas les acteurs qui manquent, d’un côté comme de l’autre. Mais surtout parce qu’un acteur apporte toujours dans son personnage une part d’expérience personnelle. Si moi, juif, je peux introduire de façon convaincante des Arabes dans mes films, c’est parce que j’écoute mes comédiens arabes. J’entends ce qu’ils me disent de leur monde et je peux ainsi éviter les clichés. Je ne dis pas qu’un Arabe ne peut pas interpréter un juif. Makram Khoury, qui interprète le père dans la Fiancée syrienne, joue souvent des rôles d’officiers israéliens, kippa comprise. Mais, quel que soit son talent, je n’arrive pas à y croire. Tout comme j’aurais bien du mal à accepter certaines grandes stars américaines — exception faite de Robert De Niro et d’Al Pacino — dans un rôle de SDF. Maintenant, ce n’est pas parce que je vous dis que je résisterai toujours à la tentation que je résisterai toujours à la tentation !


Stanislas de Clermont-Tonnerre, ancêtre de votre producteur Antoine de Clermont-Tonnerre, et personnage capital dans l’attribution des droits civiques aux juifs lors de la Révolution française, avait déclaré : «  Il faut tout refuser aux juifs comme nation et tout accorder aux juifs comme individus ». Y a-t-il pour vous une nation juive ?


Intéressante citation… Antoine de Clermont-Tonnerre me parle toujours de l’action de son père dans le développement de l’État d’Israël dans les années cinquante. Israël, une nation ? A un Américain qui venait me dire : « Vous, cinéastes israéliens, vous faites des films anti-israéliens », j’ai simplement répondu, à sa grande surprise, et à ma grande surprise : « Hors de ma vue ! » Je vis en Israël, j’ai fait mon service militaire en Israël, j’ai versé mon sang pour mon pays… Mais faut-il débiter ces clichés ? Je me réveille parfois en me disant qu’Israël est l’Afrique du Sud il y a trente ans, que ça suffit et qu’il faudrait peut-être partir. Mais nous ne sommes pas en Afrique du Sud. La situation est beaucoup plus complexe. Certes, des choses terribles se produisent, et l’on a vu récemment, pour la première fois, le centre attaqué en même temps par la gauche et la droite israéliennes. Mais le mot sioniste ne saurait être discriminant. On est sioniste même quand on appartient à l’extrême gauche israélienne. Et, tout bien pesé, je suis plutôt optimiste quand je pense à Israël. On me demande souvent, dans les débats qui suivent les projections : « Comment vous laisse-t-on faire des films pareils ? » Une telle question me laisse pantois. On a l’air d’oublier qu’Israël est la démocratie la plus démocratique qu’on puisse imaginer. Il n’y a pas de censure en Israël.


Sophie Dulac, qui a coproduit et distribué un certain nombre de films israéliens, explique qu’Israël est déjà bien trop censuré par le reste du monde pour pouvoir s’offrir le luxe de se censurer lui-même…


Judicieuse explication !


On parle toujours tout un tas de langues dans vos films. Quelle est votre langue de référence ? Est-ce l’hébreu que vous utiliseriez spontanément pour injurier quelqu’un ?


Non, je crois que ce serait plutôt l’anglais. J’ai passé mon adolescence au Brésil — mon père travaillait à l’Ambassade —, mais j’étais inscrit dans une école américaine, et je me souviens encore de l’éblouissement qu’a été pour moi la lecture de Vol au-dessus d’un nid de coucou. Ce roman avait été mis au programme par notre professeur de littérature, Mrs Beverly Walter, dont le mari avait été tué au Vietnam. « Ce n’est pas un classique russe, nous avait-elle expliqué. C’est un livre qui vient de sortir. » J’avais donc une quinzaine d’années. Je découvrais là la révolte d’un individu contre le monde, que j’allais retrouver dans des films tels que Five Easy Pieces, If…. (et peu importe si If…. a sans doute très mal vieilli), 2001. Mon éducation, ma vocation de cinéaste ont été déterminées par des films anglais et américains. Ou par l’étude de chansons des Supremes, qui avaient elles aussi un sens politique. Et puis il y a eu ma scolarité à la National Film School [devenue depuis National Film and Television School] de Londres. Aujourd’hui, les écoles de cinéma pullulent en Israël, mais ce n’était pas le cas en 1975. J’avais suivi des cours de cinéma à l’université ; j’avais travaillé comme assistant sur quelques films. Ce n’était pas désagréable, mais je me sentais un peu frustré. J’ai décidé de me présenter au concours de cette nouvelle école de cinéma qui venait de s’ouvrir à Londres, en étant convaincu que je n’avais aucune chance, puisqu’il n’y avait que cinq places. Je me souviens en outre que, lorsque je me suis rendu à Beaconsfield pour mon premier entretien, le directeur, Colin Young, ne cessait de répéter : « Je n’aime pas les Israéliens, je n’aime pas leur politique » J’avais beau lui expliquer que je n’étais pas le Premier ministre israélien, et, à ses côtés, son adjoint avait beau lui répéter : « Mais quand même, il a fait de bons films », il poursuivait sur sa lancée. Bien sûr, il plaisantait, mais il ne plaisantait qu’à moitié. L’affaire s’est terminée par un « Ça va, on le prend » assez brutal.

Il y a trois ans, alors que j’étais à Londres pour la première de Zaytoun à Leicester Square, l’actuel directeur de la NFTS est venu me trouver pour me dire : « Suivez-moi. J’ai une surprise pour vous. » Je l’ai suivi jusqu’à l’étage. En haut de l’escalier, il y avait, dans un fauteuil roulant, Colin Young. J’ai alors demandé : « Vous êtes sûr que j’ai le droit d’être ici ? »


Le titre français Mon Fils est assez peu fidèle au titre original, Dancing Arabs...


Par contrat, je n’avais pas là-dessus voix au chapitre et j’ai bien vu que le mot « Arabes » rendait ici les gens hystériques. Je me suis quand même permis de dire qu’en bonne logique, c’est moi, Israélien, qu’un tel mot devrait rendre hystérique. Il est vrai qu’en Israël, les Arabes dansent aussi, l’un des deux romans qui ont servi de base au film, est très populaire. Le titre Mon Fils et la bande annonce française laisseraient presque attendre un film français. Un film de Claude Sautet. Mais ce n’est pas une si mauvaise référence ! Et j’entends dire que le distributeur américain veut, lui aussi, changer le titre.


De quoi êtes-vous le plus fier dans Mon Fils ?


J’ai mis en évidence, comme le précise au début un carton, toute cette partie arabe de la population israélienne dont on ne parle jamais et qu’on voudrait « transparente ». Je montre des personnages qui existent vraiment, tout comme dans Zaytoun existait vraiment le village en ruine où le jeune héros allait planter son olivier. Et je pense avoir réalisé un film subversif, qui passe insensiblement du rire au sourire, puis du sourire à l’émotion.


Propos recueillis par FAL


Sur le cinéma d’Eran Riklis, on pourra aussi lire :


http://kitsunemoviemood.com/WordPress/2013/04/%C2%AB-zaytoun-%C2%BB-d%E2%80%99eran-riklis-avec-stephen-dorff-abdallah-el-akal-alice-taglioni/


http://kitsunemoviemood.com/WordPress/2012/07/play-off-eran-riklis-2011/


http://kitsunemoviemood.com/WordPress/2011/04/le-voyage-du-directeur-des-ressources-humaines-eran-riklis-2010/


(1) Ce roman est paru au Livre de Poche (trad. Sylvie Cohen). Le titre français du film est le Voyage du directeur des ressources humaines.


(2) Publiés en France sous les titres les Arabes dansent aussi (10-18) et la Deuxième personne (Éditions de l’Olivier).

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.