"Horsehead", un film fantastique de Romain Basset

To sleep, perchance to dream…

 

Horsehead n’est pas, comme aurait dit Truffaut, un grand film malade. C’est tout simplement un petit film assis entre deux chaises. Un OFFNI. Objet français fantastique non identifié. Mais, malgré sa construction incertaine, ce premier long-métrage contient suffisamment de moments mémorables pour que l’on parie sur son metteur en scène, Romain Basset.

 

Horsehead est un film français qui s’est appelé Fièvre avant de s’appeler finalement Horsehead, mais ce jeu d’étiquettes ne relève pas de ce snobisme contemporain qui consiste à distribuer en France un certain nombre de films chinois ou coréens sous un titre anglais. Horsehead se passe en effet dans un village français où tout le monde parle anglais. Vous avez dit bizarre ? Comme c’est étrange. Mais nous savons que, de fait, une telle situation existe aujourd’hui dans certaines contrées gauloises grignotées et colonisées par les Grands-Bretons. Et ce décalage s’inscrit de toute façon dans une série de symétries volontairement asymétriques et de gémellités délibérément rompues, puisque Horsehead est un film fantastique dans le sens que donne à cet adjectif Todorov : le rationnel et l’irrationnel s’y côtoient d’un bout à l’autre sans jamais vraiment s’exclure, tout comme Hercule et Iphiclès, vrais-faux jumeaux, l’un d’essence divine, l’autre très humain, pouvaient cohabiter dans le ventre de leur mère Alcmène. Nous n’en dirons pas plus, car ce serait révéler le dénouement.

Mais ce parti-pris, cette cohérence fondée sur une contradiction permanente fait que cette « Tête de cheval » finit par se cabrer. Arrive un moment où le film, à ce petit jeu, se retourne contre lui-même.

L’idée du scénario, explique le réalisateur Romain Basset, est née de la combinaison de deux éléments distincts : une expérience personnelle très désagréable — de graves troubles du sommeil mâtinés de paralysie — et la vision du tableau de J.H. Füssli connu en France sous le titre le Cauchemar, mais lui-même construit sur un double sens, sur un jeu de mots qui n’apparaît que dans son titre anglais. The Nightmare, c’est bien le cauchemar, mais c’est aussi  The Night Mare, la jument de la nuit.

L’héroïne de Horsehead est donc une jeune fille qui ne cesse d’être menacée dans ses rêves par une tête de cheval, mais dont les rêves se font encore plus oppressants lorsqu’elle s’en vient passer quelques jours dans la maison de sa mère, afin d’assister à l’enterrement de sa grand-mère. Rêves plus oppressants puisqu’ils incluent désormais l’image de cette grand-mère défunte. Rêves plus oppressants encore parce qu’il n’est pas sûr qu’il s’agisse à proprement parler de rêves. La jeune fille en effet est consciente qu’elle rêve lorsqu’elle rêve et est dans une certaine mesure capable de canaliser ses rêves. Elle y découvre d’ailleurs des choses dont elle n’avait jamais entendu parler et qui se révèlent être exactes. Où est donc la frontière entre les fantasmes et la réalité ? Peu à peu, la jeune fille acquiert la conviction que le cheval et le loup qui vient compléter le tableau — car, encore une fois, tout est double, y compris dans le bestiaire — sont le signe d’un mystère autour de ses origines, qu’elle décide de percer, malgré les réticences de sa mère, laquelle n’a visiblement aucune envie de remuer un passé douloureux.

Jusque-là, tout va bien pour le spectateur. Mais les choses se compliquent et s’embrouillent quand Romain Basset entend rendre hommage à ses deux principales sources d’inspiration esthétique — les films de l’âge d’or de la Hammer et les gialli italiens des années soixante-dix et quatre-vingt. Dans la première catégorie, on trouvera par exemple un certain nombre de plans très « réminiscents », comme on dit en anglais, d’Une Messe pour Dracula de Peter Sasdy (starring, bien sûr, Christopher Lee dans le rôle de Drac). Pour la partie italienne, on citera, entre autres, des séquences aquatiques qui font écho à celle, fameuse à juste titre, de l'Inferno de Dario Argento, ou, plus simplement, la présence de Catriona MacColl dans le rôle de la mère — cette même Catriona qui, il y a trente ans, avant d'être découverte par le grand public dans Plus belle la vie, hantait ces fantaisies macabres de Lucio Fulci qui mettaient en transe les spectateurs du Festival du Film fantastique sous les voûtes étoilées du Grand Rex.

Faire d’une pierre deux coups, oui. Mais il y a malheureusement ici un coup de trop, le genre du giallo étant à la Hammer ce que le vinaigre est à l’huile. Les films de la Hammer, tout en jouant sur des images fortes, obéissaient d’abord à des intrigues rigoureuses, avec un début, un milieu et une fin. Une telle construction, si banalement classique en apparence, leur permettait d’être formidablement subversifs (Une Messe pour Dracula, déjà cité, est une dénonciation sans appel de l’hypocrisie de la société victorienne, mais on pourra aussi revoir, dans le genre cynique, Frankenstein s’est échappé de Terence Fisher qui, aujourd’hui encore, donne le frisson). Il y a également subversion dans les gialli italiens, mais elle passait essentiellement par la forme, par un éclatement, voire un effacement de l’intrigue (certes, on finissait bien par trouver in extremis un assassin, mais c’était souvent un sous-fifre sans intérêt) au profit d’une débauche d’images et de musiques baroques produisant et imposant leur propre rythme en se prenant elles-mêmes pour objet.

"Le Cauchemar" de Füssli

Horsehead, malheureusement, entend, comme on l’a dit, nous entraîner sur la piste d’une enquête quasi-holmésienne — et, de fait, on nous gratifiera d’un dénouement assez rationnel — tout en s’offrant le luxe de semer ici et là des séquences totalement gratuites (en particulier, une scène très surprenante d’inceste féminin), ou qui, en tout cas, ne seront jamais justifiées. Bien sûr, il y aura toujours, à la sortie, quelque spectateur pour crier l’extase qu’il a pu éprouver devant cette créativité débridée et cette avalanche de symboles postmodernes, mais il aura bien du mal à convertir les dix-neuf autres. Puisqu’il y avait, en tout et pour tout, vingt personnes dans la salle.

Nous n’ironisons pas. Horsehead a eu beaucoup de mal à trouver un circuit, sinon un distributeur, et s’est très vite retrouvé programmé dans une seule salle [Publicis Champs-Élysées] à certaines heures seulement, et donc condamné à être vu par très peu de monde, mais il a d’une certaine manière, récolté ce qu’il a semé. Nous n’allons pas ici défendre les vertus du pitch, mais il n’est pas mauvais parfois de pouvoir résumer un film en deux lignes, voire en deux mots. Cela permet d’y voir plus clair. Or cette opération est en l’occurrence impossible.

Une occasion manquée, car il y a là la patte d’un vrai metteur en scène, et une maîtrise des images rare dans un premier film. Que Romain Basset en tourne un second en se souvenant que l’art vit de contraintes et meurt de libertés, et tout ira bien.

 

FAL

 

Horsehead

Un film de Romain Basset

Avec Lilly-Fleur Pointeaux, Catriona MacColl, Murray Head, Vernon Dobtcheff

sortie en salle mars 2015

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1 commentaire

Jérôme Clement

J'ai personnellement interprété certaines scènes de rêve entre la mère et la fille, notamment la relation incestueuse qui pour vous n'a pas de sens et serait gratuite, comme si la mère reproduisait ce que son père lui a fait subir : c'est à dire, dans le cas de cette scène d'inceste, que la mère serait la représentation du père. Toujours dans ce sens, j'ai de suite interprété l'absence du père biologique comme une absence due à un lourd secret : ce serait lui qui aurait mis enceinte la mère de Jessica, cette dernière étant le fruit de l'inceste entre sa mère et son grand-père...
Du coup, pour moi cette scène d'inceste ne serait pas "gratuite", mais à chacun son interprétation :)