Le Grand défi — Hercule, Samson, Maciste et Ursus, les Invincibles

Bouillon de culturisme


Abondance de biens ne nuit pas ? Cela reste à démontrer. Il peut y avoir surdose : il y a cinquante ans, en réunissant quatre grandes figures biblico-mythologiques, le péplum le Grand défi, réédité aujourd’hui en dvd, signait la fin d’un genre.


Si vous êtes nostalgique des cinémas de quartier, allez donc faire un tour sur le site www.artusfilms.com. Point de blockbusters américains, point de films d’auteurs, point de classiques, au sens noble du terme, dans le catalogue de cette société de dvd. Artus a choisi de porter les couleurs du « cinéma bis », qui connut son âge d’or dans les années soixante, soixante-dix et quatre-vingt. Bien sûr, la seule vue de certains titres nous fait aujourd’hui sourire — le Manoir de la terreur, l’Espion qui venait du surgelé, Opération Goldman, Quand les colts fument, on l’appelle cimetière, et tutti quanti —, et presque aucun de ces films ne présente vraiment d’intérêt en soi et pour soi — il faut toute la foi aveugle du bissophile et bissologue Alain Petit pour soutenir dans un bonus l’idée que Lady Frankenstein, cette obsédée sexuelle est un grand film, surtout quand, parallèlement, son interprète principale, Rosalba Neri, interviewée aujourd’hui, semble n’avoir que de très vagues souvenirs de ce chapitre de sa carrière. Cependant, et on se heurte là à une question qui relève de l’histoire de l’art en général, chacune de ces œuvrettes est à sa manière représentative d’un genre et mérite un peu mieux que de stériles ricanements. Signalons et saluons d’ailleurs le sérieux et la qualité du travail d’Artus, qui, contrairement à certains éditeurs, s’applique à trouver, pour chaque film, une copie qui offre une v.o., qui ne soit pas un pâle contretype de contretype, et à laquelle s’ajoute régulièrement un entretien avec un spécialiste capable d’apporter des compléments historiques, mythologiques ou techniques toujours bienvenus. Michel Eloy, qui est à lui tout seul comme le Google et le Wikipedia du péplum [1], nous offre ainsi une heure de sa vertigineuse érudition, au demeurant non dénuée d’humour, dans le bonus du Grand défi.


Ce Grand défi, réalisé par Giorgio Capitani, que la jaquette s’efforce par quelques formules ambiguës, sinon hypocrites, de rapprocher de Riccardo Freda ou de Steve Reeves, mais qui n’eut jamais la notoriété de ces messieurs, est a priori un péplum parmi tant d’autres, et son titre français passe-partout n’est pas vraiment apte à exciter notre curiosité, mais il n’est pas mauvais de lire attentivement le sous-titre, traduction assez fidèle du titre italien original : Hercule, Samson, Maciste et Ursus — les Invincibles. Il y a en fait quelque chose de tragique dans cette accumulation de héros. Elle marque le début de la fin d’un genre, comme c’est souvent le cas pour certains cross-overs contemporains : quand Stallone et Schwarzenegger s’associent pour tourner dans un même film, ce n’est pas vraiment bon signe, ni pour l’un ni pour l’autre. L’union fait la force, certes. Mais c’est pour compenser une faiblesse qu’on réalise cette union. Les héros s’associent quand ils sont fatigués et ne sont plus ce qu’ils étaient : le buddy-building est l’emplâtre d’un body-building défaillant.


L’intelligence de ce Grand défi est de faire de cette décadence, dans une espèce de mise en abyme, le sujet même du scénario. Hercule, dont on nous rappelle très officiellement dans la première séquence qu’il est le fils de Zeus, sauve de la noyade Omphale, princesse de Lydie. Cela devrait suffire à convaincre celle-ci de devenir sa femme lorsqu’il le lui demande, mais non. Omphale est occupée ailleurs, et impose à Hercule des épreuves successives s’il veut gagner son cœur. Hercule ferait mieux de participer à Fort Boyard, puisque, s’il s’acquitte de ses missions, Omphale trouve toujours un prétexte pour lui lancer de nouveaux défis, qui l’amèneront donc à croiser sur son chemin ses collègues Samson, Maciste et Ursus, interprétés par des comédiens aux pectoraux souvent plus expressifs que leurs visages. Pour tout dire, l’affaire risquerait de devenir un peu soporifique — et il faut bien reconnaître qu’il y a quelques temps morts dans le déroulement des opérations — si le ton adopté n’était souvent celui de l’autodérision. Évidemment, rien, à cet égard, ne pourra jamais rivaliser avec la perfection des Titans de Duccio Tessari, mais ce Grand défi parvient à être constamment parodique sans l’être jamais tout à fait.


Point n’est besoin d’être historien du cinéma, ni même cinéphile averti, pour sentir que ce déboulonnage de statues, si souriant soit-il, porte en germe l’essentiel du désabusement, pour ne pas dire du cynisme, qui va caractériser le nouveau genre à la mode, à savoir le western spaghetti. Ce Grand défi date de 1964. C’est aussi l’année de Pour une poignée de dollars. Aux dieux et aux demi-dieux vont succéder des héros sans idéaux, des histoires pleines de cercueils, une mythologie sans mythes qui, paradoxalement, gagnera, elle, un peu d’optimisme lorsqu’elle se fera à son tour parodique.


Il y a donc deux manières de regarder ce Grand défi. Les jeunes gens qui tenteront l’aventure auront sans doute bien du mal à y voir autre chose qu’un nanar. Mais les spectateurs d’un certain âge y verront plutôt une image assez mélancolique du temps qui passe, qu’ils pourront compenser, si besoin est, en voyant le Hercule réalisé par Brett Ratner l’an dernier, sur un schéma inverse : ce nouveau péplum est plein de CGI et d’effets spéciaux, mais il laisse entendre, dès le départ, qu’Hercule n’est pas du tout le demi-dieu que ses compagnons annoncent. C’est tout simplement le fils d’une mère célibataire. Cependant, les circonstances l’amèneront à devenir finalement ce qu’il (n’)est (pas), à crier « Je suis Hercule » et à se montrer à la hauteur de sa légende. Chacun de ces deux films illustre à sa façon la formule d’Oscar Wilde qui est comme un résumé de l’Histoire et suivant laquelle les choses n’existent que si nous en parlons.


FAL


Le Grand défi — Hercule, Samson, Maciste et Ursus, les Invincibles

Un film de Giorgio Capitani

Avec Sergio Ciani, Howard Ross, Nadir Moretti, Yann Lavor

Dvd Artus Films


[1] Voir son site : http://www.peplums.info/

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