"Mad Max — Fury Road" de George Miller

On the road again ?

On the road no gain.

 

Mad Max — Fury Road. George Miller confirme ses talents de vieux routier de la mise en scène, mais laisse Mad Max au bord de la route.

 

« Déjà plus d’un million de spectateurs », claironne la publicité. So what ? Qu’est-ce que cela prouve ? Il était prévisible que tous ceux qui avaient vu la trilogie originale des Mad Max il y a une trentaine d’années, et sans doute plus encore ceux qui en avaient seulement entendu parler se précipiteraient pour voir ce quatrième mousquetaire qu’on leur promettait depuis des lustres. Pour reprendre une expression du Sunday Times, Mad Max — Fury Road était « le blockbuster qu’on attendait ».

 

Malheureusement, le blockbuster qu’on attendait n’est pas le blockbuster qu’on attendait.

 

Mad Max 4 n’est en fait qu’une grosse enflure de deux heures, assommante, bruyante, à périr d’ennui. Bien sûr, grâce aux prouesses conjuguées des cascadeurs et des spécialistes de la CGI, tout cela est parfaitement réalisé, tiré au cordeau, mais tout cela n’est qu’un gigantesque jeu insignifiant de camion vole et de moto explose, dans lequel le vrai pigeon est le spectateur — à moins que celui-ci n’entre dans la salle avec l’idée qu’il va assister à une suite ininterrompue de numéros de cirque ou de clips vidéo. Là où dans les trois premiers Mad Max il y avait au moins un embryon d’intrigue, un désir de vengeance, un conflit, il n’y a ici qu’une poursuite de plus de deux heures à travers un désert, dans une esthétique qui pouvait être originale dans les années quatre-vingt, mais qui a été tellement pillée depuis par des séries B et Z qu’elle ne présente plus grand intérêt, la quantité ne faisant pas forcément la qualité. On évitera aussi de se demander où et comment on fait le plein si facilement dans ce monde post-apocalyptique où le pétrole est censé n’être plus qu’un souvenir, car, mine de rien, ça doit consommer un max, toute cette noria de machins-trucs et de machines-trucks.

 

En fait, toute cette quincaillerie aurait un vrai relief — un relief tout autre que celui de la 3D, bonne seulement à nous envoyer un volant ou une roue à travers la figure — si le personnage de Max avait une certaine consistance, mais il est insignifiant et présenté comme tel, entraîné dans une aventure qui le dépasse (les femmes d’un prince cruel ont décidé de s’échapper du sérail). Quelques flashbacks représentant une petite fille sont là pour nous suggérer qu’il a eu un passé, mais ils sont tellement brefs, tellement évanescents qu’ils ne font passer aucune émotion. Terne et inexpressif à souhait, Tom Hardy, l’acteur choisi pour remplacer Mel Gibson, ne fait rien pour améliorer la situation. D’ailleurs, pourquoi George Miller n’a-t-il pas réengagé Mel Gibson qui, comme on a pu le voir dans Expendables 3, a encore de beaux restes, même s’il a pris quelques rides et quelques kilos ? Lui au moins a une flamme dans le regard qui pouvait — qui aurait pu nous faire croire encore que Max était vraiment mad.

 

Oui, au fait, pourquoi George Miller n’a-t-il pas réengagé Mel Gibson ? Eh bien, tout simplement parce qu’il hait le personnage de Max, et qu’il est vis-à-vis de cette création dans la même situation que Conan Doyle, qui tenta un jour — en vain, puisque cela déchaîna l’ire de ses lecteurs — de tuer Sherlock Holmes, tant ce héros devenait envahissant. Mais c’est là que, paradoxalement, Mad Max — Fury Road devient un film fascinant, sinon passionnant.

 

La clef est sans doute à trouver dans le « dénouement » de cette poursuite (im-?)pitoyable. La bande à Max, qui pensait que son seul salut résidait dans une fuite en avant, découvre tout d’un coup que cet en avant rime avec néant (il ne manque au milieu des dunes que la Statue de la Liberté de la première Planète des singes) et se dit qu’il faut revenir en arrière. On ne saurait mieux résumer la carrière de George Miller. Bien sûr, il a réalisé plusieurs films intéressants après sa trilogie Mad Max, et certains qui ont eu du succès. Mais le cochon Babe n’a jamais attiré les foules comme Max avait pu le faire. Old George, désireux de renouer avec sa gloire d’antan, est donc allé chercher Max, mais avec des sentiments forcément si ambigus que cette résurrection a souvent des allures d’assassinat, pour ne pas dire d’infanticide.

 

Allons-nous tout énumérer ici ? Le nouveau visage très inexpressif du héros, déjà signalé ? la laisse qui le tient et fait de lui un frère de Babe [1] ? la muselière qui dissimule sa bouche et son nez pendant un bon tiers du film ? la manière dont il s’évanouit à la fin en se noyant littéralement dans la foule ? Le personnage féminin interprété par Charlize Theron a tôt fait de lui voler la vedette, ne serait-ce que parce que cette rebelle en chef a, elle, de l’énergie dans la voix. (La voix off de Max qui ouvre le film a dû passer par les chambres d’écho des ingénieurs du son pour être vaguement impressionnante. Là encore, Gibson vous aurait fait cela magistralement « sans les mains », comme il l’avait fait pour Payback.)

 

Mais même ce personnage féminin semble avoir le don d’exaspérer Miller — car est-il autre chose, finalement, qu’un avatar de Max ? Son nom, Furiosa, signifie précisément en latin « folle » ? Et Miller choisit donc de la castrer doublement : bras amputé dès le départ et, selon toute probabilité, perte d’un œil à la fin. Dès l’origine, avec sa débauche de cuir et de pointes métalliques, Mado Maxo avait évolué dans des eaux sado-maso, mais nous découvrons, à la faveur de ce quatrième volet, qu’il n’y a pas plus sado à l’égard de ce personnage que son propre créateur. Il y a, paraît-il, trois mille cinq cents plans dans Mad Max — Fury Road. Qu’il a dû être content, l’ex-étudiant en médecine George Miller, de pouvoir crier cut ! à tout bout de champ !

 

FAL

 

 

 

[1] Il n’est pas interdit de penser qu’il y a là une réminiscence, volontaire ou non, du dialogue bref, mais mémorable, entendu dans Mad Max au-delà du dôme du tonnerre : « Bullshit. — No, pigshit ! », assez habilement rendu dans les sous-titres par : « Connerie. — Non, cochonnerie. »

 

Mad Max — Fury Road

Un film de George Miller

Avec Tom Hardy et Charlize Theron  

Mai 2015

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