Tarzan, le retour de la légende

Diamants sur canopée

 

Le nouveau Tarzan est pétri de bonnes intentions et ne saurait être considéré avec condescendance. Mais il contient des contradictions et des lacunes qui font que le message qu’il entend porter n’est jamais totalement convaincant.

 

Donc, Tarzan revient.


A priori, il convient de célébrer cet événement avec une extrême inattention, puisque ce doit être la quarante-cinquième ou quarante-sixième fois que Tarzan revient au cinéma et que, quoi qu’en dise Blofeld ‒ pardon, le méchant interprété par le désormais inévitable Christoph Waltz, son cri n’a rien de véritablement surprenant. Mais, abstraction faite des moyens déployés pour mettre en scène cette nouvelle aventure, il y a ici une nouveauté qui mérite d’être saluée : Tarzan, en fait, ne revient pas ; il retourne dans sa jungle natale (c’est pourquoi, sur les affiches, il porte un pantalon et non un pagne), et son enfance n’est évoquée qu’à travers de brefs flashbacks. Ce Tarzan est en fait une suite non avouée de l’admirable Greystoke de Hugh Hudson ‒ le héros ne supporte d’ailleurs pas qu’on l’appelle Tarzan et affirme avec force son aristocratique patronyme ‒ et entend échapper à la série B autant par l’ambition de son scénario que par ses images spectaculaires. Victime au départ d’une manipulation vaguement cautionnée, sinon organisée, par le roi des Belges Léopold II, dont le Congo est encore la propriété privée, Tarzan-Greystoke, dont on entendait faire une monnaie d’échange dans l’acquisition des joyaux d’Opar, va conduire à la révolte et à la libération des milliers d’esclaves. Edgar Rice Burroughs peut être content : il ne supportait pas l’orientation colonialiste prise par certaines adaptations cinématographiques de ses romans, d’où, dans les génériques, la mention récurrente « Librement inspiré de… » ; ce Tarzan, même s’il l’est de manière légèrement métaphorique, est un manifeste anticolonialiste sans ambiguïté.


Deux choses, toutefois, nuisent à sa démonstration. La première est, paradoxalement, la perfection de ses effets spéciaux, et la question qui se pose ici vaut d’ailleurs pour bien d’autres films. Comme la CGI permet aujourd’hui de tout représenter sur un écran avec une précision documentaire, y compris les choses les plus impossibles, ce que les Anglo-Saxons appellent the suspension of disbelief, autrement dit l’acceptation des conventions d’une fiction, devient de plus en plus difficile pour le spectateur. « Comment vas-tu t’en tirer ? » demande à Tarzan l’un de ses compagnons. « Gravity », répond laconiquement le seigneur de la jungle en sautant du haut d’une falaise de plusieurs dizaines de mètres. Gravity, indeed : jusque-là les lois de la physique sont respectées. Mais à qui va-t-on faire croire qu’on puisse se saisir d’une liane au vol après une chute de trente mètres, et, qui plus est, d’une liane suffisamment résistante ? Même affaire quand Tarzan et les fauves se font d’affectueuses papouilles pour fêter leurs retrouvailles. Ce pourrait être émouvant si ce n’était totalement invraisemblable. Étrange impression : sans doute accepterions-nous tout cela sans barguigner si nous étions en face d’un dessin animé, mais cet objet hybride, mi-chair mi-poisson, nous laisse perplexes. Bien sûr, la liste des cascadeurs qui défile au générique final est d’une longueur impressionnante, et il est certain qu’il y a des hommes, des efforts humains derrière tout cela, mais où sont-ils exactement ? Peu importe que les comédiens jouent bien ou mal ; peu importe qu’Alexander Skarsgård ait passé de longues semaines ou de longs mois dans des salles de bodybuilding. Dans cette affaire, le vrai est entièrement noyé sous le faux. Non, malgré toute notre bonne volonté, nous ne pouvons croire à l’existence de ces innombrables hordes d’animaux que Tarzan fait jaillir de leurs tanières pour tenir tête aux vingt mille méchants soldats dressés à l’autre bout de la forêt. Ce genre de licence poétique peut à la rigueur passer avec des comicbook heroes tels que Superman ou Spider-Man, puisqu’ils ne sont pas exactement de notre monde. Quand le thème abordé est, comme on l’a dit, celui de la colonisation, et plus précisément de la dé-colonisation, il faudrait un peu plus raison garder.


Mais, et c’est la deuxième faiblesse de l’entreprise, le sujet n’est traité qu’à moitié, et le film s’achève pour ainsi dire là où il devrait commencer. Sa conclusion optimiste aurait été parfaite il y a soixante ans. Mais l’histoire de la seconde moitié du XXe siècle nous a appris que le départ du colonisateur ne suffisait malheureusement pas à garantir le bonheur du colonisé, et que la corruption prend souvent et très vite la relève de l’oppression. Aussi vaudra-t-il mieux s’en tenir au titre original, The Legend of Tarzan. Oui, cette histoire qu’on nous raconte est une légende. Seulement une légende. Hélas.

 

FAL

 

Tarzan

Réalisateur : David Yates

Avec Alexander Skarsgård, Margot Robbie, Christoph Waltz, Samuel Jackson


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3 commentaires

 Bonjour, "mon maître" ... (espoir de vous énerver doublement),


 Je me trompe ou le trucage numérique vous pose un lourd problème? Vous aviez déjà déploré ses conséquences désenchantantes sur les derniers Bond. Si c'est le cas, je ne vous comprends pas trop, car vous avez très souvent prôné le classicisme sous la coquille moderne (je me souviens en particulier de votre Sophocle/Racine sous Koltès). Là il me semble que ça pourrait relever de la même compréhension: l'illusion visuelle est consubstantielle du medium (d'ailleurs le premier véritable film, le voyage sur la lune,  est une suite de trucages et de décors peints). Pourquoi la CGI serait-elle si différente des routes préfilmées qui défile dans les scènes de poursuite des années 60?  La quantité n'est pas qualité, et le fait que l'illusion soit désormais plus achevée ne change pour moi pas grand chose à l'affaire. 
 Au contraire, je trouve qu'elle libère le réalisateur et en fait presque un auteur semblable à ceux de la littérature, pouvant inclure n'importe quel fruit imaginaire dans son projet, ce qui paradoxalement ramène les millionnaires hollywoodiens à un esprit enfantin. 
 A part ça, c'est toujours un grand plaisir de vous lire et, comme je vous l'avais indiqué par d'autres voies, de faire passer votre vision du cinéma auprès de mes élèves.

(et désolé pour les coquilles orthographiques, notamment aux accords du pluriel qui se sont volatilisés par ma non relecture - énervement triple, donc-)

Bien sûr, nous savons bien que le cinéma est par essence illusion, ne serait-ce que parce que techniquement, il est illusion du mouvement. Et la CGI n'est pas en soi un mal plus grand que les trucages de Méliès. Mais l'imperfection des trucages de Méliès nous disait tout de suite que nous étions dans un autre monde. Ce qui est un peu "dangereux" avec les possibilités infinies de la CGI, c'est que, mal utilisée, elle risque de conduire à des confusions. Quand Jean Marais faisait ses cascades lui-même dans un film de cape et d'épée, on voyait et on savait qu'il les avait faites lui-même. Aujourd'hui, qui peut savoir? Au metteur en scène d'utiliser sa palette pour trouver l'équilibre entre le rêve et la réalité qui est la condition de tout art. C'est certainement toujours possible, mais, paradoxalement, cela requiert un plus grand talent. La technique ne vaut que par ce qu'on en fait. Il me semble qu'on a tendance à en faire un peu trop avec la CGI. Encore une fois, quand je vois Tarzan sauter d'une falaise haute de trente mètres, j'éprouve un malaise, dans la mesure où la perfection de la réalisation me dit que c'est du vrai, cependant que ma raison, qui n'est pas totalement en sommeil malgré mon grand âge, me dit que c'est du faux. En un mot, j'appartiens à une génération de spectateurs qui applaudissaient lorsque le parachute Union Jack s'ouvrait à la fin du générique de L'Espion qui m'aimait. Une telle séquence aujourd'hui amuserait autant -- elle ne saurait susciter la même émotion.

Merci pour votre fidélité, qui me touche.