Le Péplum

Rome, unique objet de mon assentiment…

 

Un genre presque aussi vieux que le cinéma lui-même. Et qui reste, n’en déplaise à certains, aussi vivant que le cinéma. Le prouve un nouvel ouvrage magnifiquement illustré et intitulé simplement Le Péplum, à travers lequel deux passionnés entendent communiquer leur passion.

 

Les paléontologues sont des gens déroutants. Comme ils savent tout sur tout et qu’ils sont capables de reconstituer tout un dinosaure à partir d’une seule phalange de dinosaure, ils sont amenés à accorder à la phalange autant de valeur qu’à l’animal pris dans son ensemble et à voir des trésors dans des détails que le profane, même animé de la meilleure volonté du monde, trouverait a priori parfaitement insignifiants.


Christophe Champclaux et Linda Tahir-Mériau, paléontologues du septième art, n’échappent pas à cette règle. Dans l’ouvrage intitulé Le Péplum qu’ils viennent de publier aux éditions Courrier du Livre, ils trouvent des mérites au désastreux remake du Choc des Titans, se pâment devant l’Ulysse de Mario Camerini tourné en 1954, avec Kirk Douglas dans le rôle de l’éponyme, et assurent que le Romulus et Remus de Sergio Corbucci est un chef-d’œuvre. L’auteur de ces lignes peut témoigner, pour les avoir projetés devant des classes de khâgneux, que ces deux derniers films ont essentiellement pour vertu de tétaniser tout un auditoire, pourtant a priori tout acquis, au bout de quinze minutes, tant ils sont lents et appliqués. La mètis d’Ulysse ne trouve pas son expression idéale dans les coups de menton de Kirk et, si l’on veut bien être troublé aujourd’hui encore par l’immarcescible beauté de Virna Lisi dans R&R, Gordon Scott et l’inévitable Steve Reeves (qui fait ici l’objet de tout un feuilleton disséminé sur de nombreuses pages insupportablement imprimées de guingois) ont beaucoup de mal à nous faire croire qu’ils sont à l’origine de l’empire romain et supportent mal la comparaison avec Franco Nero dans le mythique Django du même Corbucci. On eût aimé que les auteurs accordent à l’inverse un peu plus d’attention à un film aussi intelligent et aussi complexe que La Révolte des gladiateurs de Vittorio Cottafavi. Ou encore aux Titans réalisé par Duccio Tessari et produit par Alexandre Mnouchkine, fantaisie comique remplie de trouvailles délicieuses et qu’on pourra revoir dix fois avec le même plaisir.


Ces défauts toutefois ne sont pas loin jouer en faveur de l’ouvrage. Cet enthousiasme souvent outrancier, sinon aveugle, nous renvoie à une époque où l’on allait toutes les semaines au cinéma, simplement « au cinéma », sans trop choisir le film qu’on allait voir, puisqu’il n’y avait pas le choix, et, donc, il n’est pas faux de retrouver le dinosaure entier dans chacune de ses phalanges et de reconnaître tout Homère dans la seule fossette du menton de Kirk Douglas. En histoire, il est souvent vain de vouloir distinguer entre le petit bout et le gros bout de la lorgnette : Steve Reeves, comme le déclare quelque part un réalisateur de péplums, était un comédien au registre extrêmement limité, mais qui n’en reste pas moins « emblématique », comme on dit aujourd’hui, de toute une décennie. La ringardise de certains films contient une poésie qui va bien au-delà du kitsch, et il faudrait vraiment avoir un cœur de pierre pour ne pas se prendre à rêver, non sans mélancolie, devant l’iconographie fabuleuse de cet ouvrage, qui combine photos de films ou de séries télévisées et reproductions d’affiches. Car on savait dessiner en ce temps-là…


Quoiqu’il soit organisé en chapitres bien définis, le texte se plaît donc à mêler des registres très différents : ici, Mylène Demongeot se souvient en riant de la façon dont l’équipe aidait Roger Moore à échapper à la vigilance de son épouse légitime lorsqu’il se livrait à certains « écarts » ; là, on s’interroge sur le sens « caché » que pouvait avoir un film comme Spartacus quand il était écrit par le blacklisté Dalton Trumbo. Ne crions pas au sacrilège, bien au contraire. Ce cocktail prouve une chose toute simple : le genre du péplum est si vaste que ce n’est pas un genre. N’inclut-il pas d’ailleurs ces deux sœurs ennemies (en tout cas, à notre époque) que sont l’histoire et la mythologie ? On peut tout dire, tout faire passer dans un péplum. On découvre non sans surprise, mais en comprenant assez vite la logique qui se cache derrière ce paradoxe, qu’un même péplum a pu avoir des ennuis avec la censure dans des pays soumis à des régimes politiques totalement différents, dans la mesure où Hercule, Ulysse, Maciste, Spartacus & Co. n’en finissent pas d’affirmer le droit à la liberté. Rome n’est plus dans Rome, et, au fond, le péplum n’a jamais été dans le péplum. C’est ce qui fait de lui un instrument de subversion éternel. Ce genre qui a priori semble indissociable des sixties est un cadavre qui remue encore avec beaucoup de vigueur : le Gladiator de Ridley Scott l’a prouvé il n’y a pas si longtemps ; les séries télévisées comme Rome ou Spartacus ont confirmé la chose. Même les Frères Coen, pourtant si américains et si contemporains dans le choix de leurs thèmes, n’ont pas résisté récemment au plaisir d’une mise en abyme dans leur Ave, César ! Et il faudrait ajouter un « Jackie Chan » surprenant et intéressant intitulé Dragon Blade, (mal) sorti en Gaule et en dvd l’année dernière, qui nous fait assister, en 48 av. J.-C., à un affrontement entre armées romaines et armées chinoises sur la route de la soie ‒ épisode qui, sans être formellement attesté, pourrait bien correspondre à une réalité historique. Car il y a deux mille ans, le contrôle des frontières laissait déjà beaucoup à désirer.


 

FAL

 

Christophe Champclaux et Linda Tahir-Meriau, Le Péplum

Préface de Michel Eloy [le même intarissable Michel Eloy précédemment interviewé sur le Salon à propos de la série Moi, Claude, Empereur], Courrier du livre, "Ciné-Vintage", juin 2016, 24,90 eur

L’ouvrage inclut un dvd



• Toute l’histoire du Péplum, en texte et en images, des grandes fresques du muet aux dernières séries TV, traitant aussi bien du cinéma italien que des productions anglo-saxonnes.
• La vie et l’oeuvre de Steve Reeves, incarnation parfaite d’Hercule et figure emblématique du Péplum.
• Une étude détaillée de la représentation de la gladiature à l’écran, avec un focus particulier sur l’exceptionnelle série TV de Steven DeKnight, Spartacus (2010-2013).
• Des entretiens inédits avec Vittorio Cottafavi, le maître du Péplum, et Mylène Demongeot, la gauloise de Cinecittà.
• Les Territoires du Péplum, un photo-reportage exclusif sur les lieux emblématiques de l’Antiquité, avec une mise en avant du festival Péplum de la ville romaine d’Arles.
• De nombreuses illustrations et photographies exceptionnelles dont certaines très rares, issues de la photothèque personnelle des auteurs.
• Un DVD proposant un classique du genre, Hercule et la princesse de Troie (Ercole e la principessa di Troia, 1965), réalisé par Alfredo Antonino et interprété par Gordon Scott, accompagné de deux documentaires : Steve Reeves, l’âge d’or du péplum et Le Festival Arelate, ainsi que des entretiens exclusifs avec Luigi Cozzi et Umberto Lenzi.

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.