Rencontre avec Jean-Pierre et Luc Dardenne à l'occasion de la sortie de "La Fille inconnue"

Ils sont deux. Indissociables. Et indispensables au cinéma. Ils répondent ensemble, s’interrompent l’un l’autre sans jamais se couper mais toujours en se complétant. Un duo qui a déjà imposé un certain style et qui, à chaque film, cherche à tourner sa caméra vers des sujets douloureux. Leur dernière œuvre présente Jenny, une jeune femme médecin qui refuse d’ouvrir sa porte à une inconnue. Parce que ce n’est plus l’heure des visites. Hélas, cette inconnue est retrouvée morte le lendemain. Bouleversée, la doctoresse va tout mettre en œuvre pour mettre un nom sur cette ombre qui a chamboulé sa vie…


Combien de temps de film avez-vous coupé depuis la présentation à Cannes ?

7 minutes et demie. Soit 32 coupures. Dans la nouvelle version, on est plus dans la tête de Jenny que dans la chronologie, alors que dans la première c’était l’inverse.


Pourquoi ces coupes ?

On a cru que le film était prêt pour aller à Cannes mais c’était nous qui n’étions pas prêts. Il nous a fallu plus de temps pour trouver la bonne voie. Alors, en une journée on a tout refait, en coupant un peu dans tout.


Pourquoi ne pas en dévoiler plus sur Jenny ?

Jenny est possédée par cette fille inconnue et on s’est dit qu’il fallait la laisser dans cette obsession, donc cela nous forçait à laisser de côté tout le reste. En menant son enquête, elle va choisir une vie qui lui correspond, elle change. Elle semble découvrir ce qu’elle cherchait vraiment : être médecin dans une banlieue pauvre. De plus, elle sert de révélateur pour les autres, elle les transforme. C’est comme ça que nous avons construit le film. On a pensé à lui inventer une vie privée mais on avait l’impression d’user de vieilles ficelles du cinéma. On a préféré raconter comment elle est se retrouve prise par les autres.


La fonction de médecin vous semblait primordiale ?

Un médecin a une responsabilité plus lourde. Les conséquences quand il refuse d’ouvrir une porte ne sont pas les mêmes. Un médecin est presque un confesseur mais on ne voulait pas que Jenny se transforme en détective. Il fallait que ce soit grâce à la médecine que l’enquête avance. C’est son innocence qui ébranle ses interlocuteurs.


Avez-vous hésité entre une femme médecin ou un homme ?

Pour nous ça a toujours été une femme. Comme la victime était dès le départ une femme. On ne s’est jamais posé la question de prendre un homme. A1vec une femme, le rapport avec la violence est différent. Certaines scènes n’auraient pas été les mêmes si nous avions choisi un homme. On voulait que le personnage se sente responsable et même coupable, ce qui aurait été plus difficile avec un homme.


Pourquoi Adèle Haenel dans le rôle principal ?

On a rencontré Adèle à une soirée où elle recevait un prix. En la regardant on s’est dit qu’avec un tel visage, elle ne pouvait qu’aider les gens à parler. Le visage d’Adèle permettait une présence franche et totale. Elle n'a aucune arrière-pensée. On a beaucoup compté sur elle. C’est vraiment à partir d’elle que s’est écrit le scénario. L’histoire date de 2009 mais nous avons vraiment commencé à l’écrire en 2014 après avoir rencontré Adèle.


Votre film a-t-il une dimension religieuse ?

La vie d’un autre c’est toujours sacré. C’est plus humain que religieux. On n’a pas besoin de croire en un dieu pour estimer la vie d’autrui.


Le symbole d’ouvrir ou de ne pas ouvrir une porte parait évident…

C’est volontaire, bien sûr. Chez les Grecs anciens, on disait qu’il fait ouvrir la porte à tout le monde, y compris aux pires, parce que c’est peut-être un dieu qui vient vous visiter… Vous avez remarqué aussi que notre fille inconnue est une Africaine. Et qu’elle meurt au bord de l’eau. Ça aussi c’est volontaire. Il y a lien avec l’actualité. Ajoutez à cela que le cabinet du médecin se trouve au bord d’une route à quatre voies, c’est-à-dire au bord du monde. Ses patients aussi sont au bord d’u monde. Tout cela est totalement volontaire.


Vous vous refusez à toute forme d’humour ?

Y en a marre de devoir toujours être marrant ! On ne peut pas parler de la mort et de la culpabilité en se marrant, ou alors il faut être schizophrène.


Et toujours pas de musique ?

Nous espérons que les gens qui viennent voir nos films ne se rendent pas compte qu’il n’y a pas de musique. Nous, on n’en sent pas la nécessité. Nous avons pourtant fait un effort : on a expérimenté certaines scènes avec de la musique, mais ça ne marchait pas. Pourquoi le cinéma aurait-il forcément besoin de musique ?


Propos recueillis par Philippe Durant


LA FILLE INCONNUE

De Jean-Pierre et Luc Dardenne

Avec Adèle Haenel, Olivier Bonnaud. Jérémie Rénier, Oliver Gourmet

1h46.

Sortie le 12 octobre

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