"Sully", de Clint Eastwood

Il y a un pilote dans l’avion.


Le nouveau film de Clint Eastwood, Sully, raconte l’histoire authentique de cet Airbus que son pilote dut et sut poser en urgence sur les flots glacés de l’Hudson River pour sauver ses passagers, mais le récit de cet épisode est surtout une nouvelle occasion pour le cinéma américain de s’interroger sur le droit et la loi.


Figurez-vous qu’il n’y avait pas foule à la projection réservée à la presse. Bien sûr, toutes les projections presse ne sont pas pleines à craquer, mais, de manière générale, il vaut mieux réserver à l’avance quand il s’agit d’un film de Clint Eastwood. Ce "boycott" était sans doute la punition infligée par les journalistes français à celui-ci pour le soutien qu’il venait d’apporter à Donald Trump (et aussi, pour son pitoyable numéro de clown il y a quelques années, dans lequel on le voyait s’adresser à une chaise vide censée représenter Obama). Mais il ne faut pas condamner les gens pour des crimes qu’ils n’ont pas commis ; il ne faut pas se trumper de cible. Sully est tout le contraire d’un film d’extrême droite. C’est même un film d’extrême droit.


On connaît déjà l’histoire, puisqu’elle est vraie : "Sully" est le surnom de ce pilote qui réussit à poser son Airbus sur les flots de l’Hudson et à sauver ainsi tous ses passagers il y a sept ans, un jour d’hiver très froid. Un vol d’oies sauvages avait eu raison des deux réacteurs de son appareil. Mais le sujet de Sully n’est pas exactement celui-là. "L’incident", comme on dit désormais en franglais, eut lieu trois minutes après le décollage, et le sauvetage de tous les passagers fut bouclé, grâce à l’efficacité des secours de New York, en vingt-quatre minutes (sans cela, il n’y aurait pas eu de sauvetage, puisque, redisons-le, il faisait très froid). Vingt-sept minutes, donc. Cela ne suffit pas pour remplir un film, même si ‒ ô miracle en ces temps de logorrhée cinématographique ! ‒ Sully ne dure qu’une heure trente-cinq.


Bien sûr, on assiste en détail aux différentes phases de l’exploit, mais le plus intéressant est sans doute les soixante-huit minutes qui restent. Et qui s’inscrivent dans la grande tradition américaine des films de procès. En effet, si l’opinion publique et les médias ont tôt fait de célébrer Sully comme un héros national, les autorités (et la compagnie d’assurances) sont loin de partager le même enthousiasme. L’Airbus est un avion qui coûte plus de soixante millions de dollars. Certes, les moteurs étaient endommagés, très endommagés, mais ne leur restait-il pas quand même un peu de puissance, suffisamment pour réaliser un atterrissage normal sur la piste de l’aéroport le plus proche qu’on s’était empressé de dégager à cet effet ? Sully a-t-il bien respecté la procédure prévue pour ce genre de situation ? Tous les simulateurs dans lesquels ont été intégrées les données de l’incident conduisent à penser que ce n’est pas tout à fait le cas.


À son copilote qui s’étonne du tour que prennent les choses, Sully explique que c’est normal. Il y a toujours une commission d’enquête pour tout vérifier en pareil cas. C’est la loi. Le film, par la force des choses, concentre sur quelques jours ces chapitres administratifs et judiciaires. Dans la réalité, ils se sont étalés sur plusieurs années. Sully sera-t-il finalement adoubé comme American hero ? N’arrive-t-il pas aux ordinateurs de se tromper lorsqu’on oublie de leur fournir cette petite donnée essentielle, que par définition ils ne possèdent pas ‒ le facteur humain ? On devine la réponse. Mais, au-delà du cas personnel de « notre héros », on a compris que c’est toute la question de la démocratie américaine qui se joue ici, et accessoirement celle de tout le cinéma de Clint Eastwood.


Car il ne faut jamais oublier que, d’un film à l’autre, ou même parfois à l’intérieur d’un même film, il y a deux Clint Eastwood. L’individualiste prêt à tout casser sur son passage pour se venger, n’hésitant pas à insulter ses supérieurs et faisant fi des consignes officielles. Mais aussi, l’homme qui se rappelle et qui rappelle aux autres qu’il y a certaines limites qu’on ne saurait franchir, même quand on estime que la loi est un peu déficiente. C’était déjà le sujet de Magnum Force, la seconde aventure de l’Inspecteur Harry, dans laquelle celui-ci avait pour adversaires des confrères excités qui entendaient exercer la justice par eux-mêmes. "Je crains que vous ne m’ayez méjugé", disait-il à ces naïfs qui le croyaient acquis à leur cause.


Aucun cinéma n’a su poser aussi nettement que le cinéma américain la question de l’équilibre toujours instable entre liberté individuelle et soumission à la loi ‒ vieille question, mais qui risque, par les temps qui courent, de devenir chaque jour un peu plus actuelle. Sully, cette nouvelle pièce du dossier, prouve qu’Eastwood avait tort de déclarer, dans une interview accordée au Monde il y a deux ou trois ans, que le temps ne travaille pas pour lui. Il est vrai qu’il a quatre-vingt-six ans, ce Burgrave, mais on veut bien qu’il soit centenaire s’il réalise encore quelques films de la même farine. Dans Magnum Force, cité un peu plus haut, on pouvait entendre la réplique suivante, adressée à Clint déguisé en pilote de ligne pour mettre un terme à un détournement d’avion : "Excuse me, Captain, but can you fly a plane ?" Cette fois-ci, la réponse est oui. Sully prouve que, même s’il a sans doute derrière lui toute la machine hollywoodienne pour l’aider dans sa tâche et même s’il confie le rôle du héros à Tom Hanks, le commandant Eastwood est bien capable de piloter un avion.


FAL


SULLY

un film de Clint Eastwood

Sortie en salles le 30 novembre 2016

avec Tom Hawks, Aaron Eckhart, Laura Linney

durée 1h36


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