Serge Fiorio très bientôt au musée de Forcalquier


Que diriez-vous, cher Maître, si l’un de vos tableaux faisait aujourd’hui son entrée au Louvre ?
 Déjà !

Mais c’est l’un des plus modestes musées de province qui – sur proposition de l’association du Patrimoine du Pays de Forcalquier conduite par sa présidente Denise Ciuti – est aujourd'hui l’acteur, en le cas, d’une véritable première – à saluer, du coup, par une visite ! – puisque, jusque-là, aucun musée départemental ou autre ne s’est, en aucune façon, jamais soucié de célébrer, même un brin, ce formidable rêveur et rare semeur de songes.

Honneur et reconnaissance à cette poignée de bénévoles de relever avec bonheur le challenge, donc, d'une telle exposition !
 

Carnaval en forêt, huile sur toile, 60x73 cm, 1992. Clic gauche sur l'œuvre pour une meilleure lecture.


Riche initiative, pleine de sens, que celle de cette manifestation marquant le dixième anniversaire du "départ" du peintre – 1911-2011 – pour l’autre rive.
D'autant que depuis le printemps 1947 – date de son installation définitive au petit village de Montjustin – le vaste pays de Forcalquier, montagne de Lure toute entière y comprise, sera sans discontinuer l'un des deux hauts lieux de prédilection de sa peinture ; l'autre étant, comme on le sait, les pays du Luberon.

Tel le géant Antée qui, au besoin, reprenait des forces au contact de la terre, Serge Fiorio confiait en effet volontiers : Si l'on me demandait ce qui a le plus compté pour moi dans ma vie, je répondrais : me sentir près de la terre. Ou encore : Si un jour je me trouvais à vide, je sais que je n'aurais qu'à me promener un peu en ce beau pays pour aussitôt me retrouver de nouveau en appétit pour me remettre à peindre. 
Peindre sous ce ciel, dans cette extraordinaire lumière haute-provençale dont les multiples qualités le comblèrent tout à fait, ne concrétisa pas pour lui la simple réalisation d'un projet parmi tant d'autres mais, bien plus profondément, l'accomplissement d'un véritable vœu de libération, intime et vitale, formulé tout de suite au sortir de la guerre.

Fruit des quatre saisons mûri au soleil intérieur, l’œuvre de Serge.
Fruits de chaque saison ses œuvres innombrables, singulières.

Par sa sincérité et ses sources d’inspiration, ses qualités d’exécution, cette peinture est unique ; elle est assurément parmi les plus originales de notre temps. D'ordinaire, en tout cas de nos jours, c'est un ou plusieurs marchands qui font un peintre, à grands coups de cymbales et de roulements de tambour, comme pratiquaient autrefois les arracheurs de dents... Ce n'est pas le cas, c'est au contraire grâce à son travail silencieux que le bouche-à-oreille s'est très vite révélé être – et cela sans jamais discontinuer – le plus sûr allié de sa déjà solide renommée ainsi toujours grandissante.

En cet œuvre à large spectre, c’est la peinture elle-même qui mène la danse, son esprit : l’artiste lui-même n’a qu’à s’exécuter. Mais qui s’en plaindrait ! Surtout pas Serge, pour preuve : Je ne sais pas à qui dire merci, mais je lui dis merci tous les jours !
Sous entendu, en peignant, main dans la main, bien sûr, avec sa création, en un juste retour des choses, un bel accomplissement.
Sur tout cela, aucune rude théorie sur l’art de peindre, ni de discours marchand ou enjôleur ; son seul diapason étant de réussir, par le métier, à exprimer les mystères du monde, celui d’exister et toujours, l’air de rien, sans un mot de travers ou de trop, nous en faire partager à la fois le sens et la force.

Si la peinture Fiorio est présente aujourd’hui un peu de partout de par le monde, avec une évidente concentration d’œuvres dans le sud-est de la France, la vie du peintre, elle, est moins connue, pour ne pas dire pas du tout.
Mais à travers le silence indispensable à la contemplation des œuvres et la consultation des divers documents exposés, nous pouvons cependant le regarder vivre et peindre un peu à quelques-unes des étapes de sa vie.
Si elles sont très variées, toujours reliées entre elles par la peinture, l’unité néanmoins s’en dégage et l’on se rend compte, par là, du sens de ce chemin haut en couleur, très volontairement suivi avec fidélité, impeccablement pavé de travail et de générosité.

Rares sont, par les temps qui courent, les peintres d’une telle trempe, qui – ayant charge d’œuvres comme on dit charge d’âmes – restent libres totalement, ne s’embarrassent pas le moins du monde du souci de plaire ou de déplaire au présent, peignent passionnément, pour eux-mêmes avant tout, par pure et simple ardente nécessité intérieure : ce qui leur est finalement le plus court et le plus sûr chemin pour rejoindre l’autre, les autres sur le leur, partager avec un public enthousiaste l’ascèse ou le festin selon l’esprit particulier de telle ou telle de leurs multiples créations.

Serge Fiorio est de ceux-là, maîtres d'œuvre.

                                                     Portrait par Marcel Coen.


Voici un court extrait de chacun des deux textes – d’abord de Jean Benoist, puis de Claude-Henri Rocquet – qui introduisent à l’œuvre dans le riche et dense catalogue.

Depuis plusieurs siècles, ils ont été nombreux ces peintres qui, loin des académies, ont déposé leurs tableaux dans l’univers en marge des cités qui, entre Provence, Piémont et Savoie, va de la Méditerranée au lac Léman.

Ne faisons pas à tout prix de Serge Fiorio l’un de ces peintres. Il n’a pas été hanté par la peinture religieuse ; il a fait peu de portraits. Mais entrelacée avec l’écho des peintres de la Renaissance, il y a en lui une parenté avec ceux qui ont décoré les vallées piémontaises ou savoyardes. Certains ont suivi à travers les Alpes le chemin de migration qu’avaient suivi ses ancêtres, entre Piémont et Provence et ils ont orné les vallées alpines.

Et la personne de Serge Fiorio, sa vie, les sentiments qu’il a inspirés à ceux qui l’ont connu s’accordent pleinement avec ces peintres, artisans sans prétention mais créateurs inspirés. Ses tableaux ont avec les leurs l’affinité qui existe entre les visages des membres d’une même famille, dans les couleurs, dans les vêtements souvent intemporels des personnages et dans leur pose. Et cela dit leur sincérité : ils ne sont pas faits pour faire un tableau ; ils impriment durablement sur un écran l’image d’un monde intérieur dont les paysages, les gens, les scènes, sont le langage.

Personne ne le montrera mieux que Serge Fiorio. Toutefois, avec ces profils et ces couleurs, il ne fait jamais du local. Sa Provence est un lieu de l’universel comme la Toscane de Vinci ou la Sainte-Victoire de Cézanne. En rien, il n’est régionaliste. Pas plus que sa spontanéité, sa distance vis-à-vis de toute école ne fait de lui un naïf ; il est peintre, et il dit son monde.
Jean Benoist
 

                      Serge Fiorio dans son atelier à Montjustin. Photo Pierre Ricou, 1992.


Serge Fiorio, dans sa jeunesse, fut bouleversé en visitant à Paris une exposition consacrée à la peinture italienne du Quattrocento à la Renaissance. Qu'y a-t-il vu de la peinture siennoise ? Peut-être cette barque solitaire au bord de la mer, ces paysages de la campagne de sienne et leur douceur, leurs inflexions, le vert profond des arbres, la pâleur des champs, la tendresse de la terre.
Peut-être eut-il à ce moment le projet d'aller à vélo parcourir l'Italie puis l'Espagne.
À Sienne, dans le palais au bord de la place en forme de coquille, j'imagine qu'il se serait arrêté, longtemps, devant ces miniatures qui sont des fresques, ces fresques peuplées et habitées comme des miniatures, devant ces mondes, ces cités, ce cavalier vêtu d'un vêtement qui semble avoir pour dessin l'échiquier des champs et des vignes sur les collines d'alentour, ce cavalier vêtu comme la terre qu'il traverse et domine.

Il me semble que les paysages de Fiorio ne sont pas tant ceux de Taninges et de Haute-Savoie, le pays de sa jeunesse, ou de Haute-Provence, ou du Luberon, que ceux qui entourent la ville de Sienne, et dont les peintres, les Primitifs siennois, ont fait une image du paradis, un cantique de la Création.
Claude-Henri Rocquet

 

André Lombard
 

Exposition Serge Fiorio, musée de Forcalquier du 12 juillet au 19 septembre 2021.

Vernissage le vendredi 9 juillet 17h30
Ouverture lundi de 11 h à 13 h et de 15 h 30 à 18 h 30
Mercredi, jeudi, vendredi de 15 h 30 à 18 h 30

Visite guidée sur rendez-vous.
Renseignements 04 92 70 91 19
Entrée gratuite.
 

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