Claude Pujade-Renaud : Saint Augustin chez Marie-Claire

Il y a beaucoup de noms en –us. Hippo Regius plutôt qu’Hippone, Ambrosius, Augustinus… Claude Pujade-Renaud trouve que c’est "plus chantant". En plus ça fait romain, comme les descriptions de mets, les thermes, les rouleaux, les codex… On apprend un tas de choses sur le manichéisme et sur les autres hérésies, c’est bien commode, ça évite de lire un "Que sais-je ?". Pour ceux qui ne connaîtraient pas les Confessions nous tenons également un bon recueil de morceaux choisis — les plus connus : la férule, les poires, tolle, lege,… rien ne manque.
Et pour nous rendre plus proche ce monde lointain Claude Pujade-Renaud fait parler penser et réagir tous ses personnages comme vous et moi, je veux dire comme des lecteurs de Télérama et de Marie-Claire. Aucune de ces vaines et fatigantes tentatives à la Quignard pour reconstituer ce qu’auraient pu être les façons de voir et de dire du passé. On a l’impression rassurante que tous ces gens étaient comme nous, et que l’auteur aurait aussi bien pu nous raconter l’histoire d’un dirigeant de grande institution internationale et de sa secrétaire. Bien sûr il aurait fallu renoncer à toute cette Antiquité si décorative, mais c’est tout. La dimension spirituelle, si aride, se réduit en effet ici à quelques questions insondables mais ponctuelles : "Pourquoi Dieu a-t-il permis ces atrocités ? — Je ne sais pas, Valeria. Demande à Silvanus". On se concentre plutôt sur la psychologie, celle des magazines que j’évoquais plus haut. Augustinus a eu une mère possessive (Monnica), que travaillait "un désir de revanche à travers ce fils si brillant". Sous son influence il a renoncé au sexe, et à en croire la narratrice ce n’était pas un petit sacrifice : les souvenirs d’Elissa sont pleins d’"étreintes tumultueuses", d’odeurs, de corps qu’on "fouille", au point qu’elle en vient à s’interroger, "l’assaut amoureux entre l’homme et la femme serait-il proche de l’étreinte mortelle entre la bête et l’homme, les spasmes de la jouissance et de la mise à mort se ressembleraient-ils ?"
Seulement voilà : si les femmes sont, sauf exception, sensuelles et proches de l’originelle argile, les hommes sont arrivistes et portés sur l’abstraction. Or derrière les pères de l’Eglise se cachent des hommes comme les autres, l’homme éternel, celui de Femme actuelle. Claude Pujade-Renaud a le courage de le dire. Son écriture est parfaitement adaptée à ce travail de réduction des grandes aspirations aux réalités simples : style sobre, comme on dit, sans aspérité ni heurt, en un mot, radicalement plat. Ce qui ne l’empêche pas de risquer à l’occasion d’audacieuses mises en abyme. Ainsi, à propos d’une « motte de terre », elle fait dire à sa créatrice d’amphores : "Je la pétris doucement. Peu à peu, elle devrait changer d’odeur, de texture, chauffer, s’animer. Mes doigts sont morts…, rien ne naît". On voit très bien de quoi elle parle.
Pierre Ahnne
Claude Pujade-Renaud, Dans l'ombre de la lumière, Actes Sud, 304 pages, 21,80 euros
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