Claude Pujade-Renaud explore "Dans l’ombre de la lumière" le lien ténu qui relie spiritualité et fondamentalisme

On nous a rabâché les oreilles à la fin du siècle dernier que ce fameux et si merveilleux vingt-et-unième siècle serait celui de la spiritualité. Ou ne serait pas… Sauf que l’on est forcé de constater depuis son avènement qu’il est marqué du sceau de l’infamie. Du 11-Septembre au dernier Printemps arabe, les fondamentalistes font œuvre de créativité. Et leurs assauts sont constants. Qu’ils soient militaires (Mali). Ou politiques (Gaza, Tunisie, Lybie, Égypte, etc.). Ils démontrent que l’on est de plus en plus loin d’un concept du bien vivre ensemble dans un cadre laïc et respectueux d’autrui… À croire que chaque religion se doit d’aller titiller les extrêmes pour mieux se convaincre qu’en force l’on ne gagne jamais la bataille. Que l’être humain est infiniment  compliqué. Et donc jamais rien ni personne ne parviendra à le domestiquer. Surtout à l’heur du numérique et de l’information libérée. Sauf à admettre de vivre dans une société d’une rare hypocrisie comme dans les pays musulmans où les interdits (alcool, musique, liberté de la femme, etc.) sont systématiquement contournés. Notamment par ceux-là mêmes qui sont censés faire appliquer le dogme…
 
Chaque religion aura donc eu son moment d’égarement. Les Chrétiens il y a fort longtemps, ce que nous raconte Claude Pujade-Renaud. Et les islamistes encore aujourd’hui : Salman Rushdie dressa, dans un long entretien publié dans le dernier numéro de l’année 2012 du NouvelObs (20 décembre-2 janvier 2013), le portrait de ceux qui "se définissent non par l’amour mais par la colère, non par ce qu’ils aiment mais parce ce qu’ils détestent et qui les offense."
On n’est pas si loin de la démarche première de certains intégristes chrétiens qui durent cheminer longtemps dans les méandres poisseuses de leurs raisonnements à géométrie variable avant de parvenir à arrêter une certitude. Et malgré cela la dureté des actes laisse parfois sans voix…
Surtout quand on suit les prémices de l’histoire de celui qui allait devenir Saint Augustin et qui n’était d’abord qu’Augustinus. Jeune homme amoureux d’Elissa et vivant sobrement. Le couple se réjouit de peu. De l’ocre rouge de la terre qu’il foule nonchalamment. De l’ébriété de l’écume dans laquelle il s’ébroue innocemment. Ils s’étaient trouvés, ils étaient heureux…
 
D’ailleurs, en bon manichéen Augustin récusait l’incarnation du Christ car il lui était intolérable qu’un dieu soit passé par le corps d’une femme (sic)… Lui qui aimait pourtant avec ferveur le corps d’Elissa… Parents à dix-huit ans d’un garçon, Adeodatus (donné à Dieu) que sa mère continuera secrètement à nommer Iatanbaal (donné par Dieu, en langue punique), Augustinus éprouve déjà un trouble manifeste face à la magie de la mise au monde, s’indignant face à cet exil forcé, cet abandon après neuf mois de gestation. Un crime de lèse-majesté en quelque sorte. S’emportant au point de jalouser les moucherons qui naissent d’emblée en sein du monde…
 
Mais il n’aura pas le temps de trop se questionner. L’empereur, désormais voué corps et âme à la chrétienté, entend bien interdire toute autre pratique. Si bien que la communauté païenne ne comprend pas pourquoi, elle si accueillante envers de nouvelles divinités, se trouve du jour au lendemain bannie, persécutée par ces "chiens de catholiques, [avec] leur intolérance, leur dieu jaloux".
C’est une période trouble où tout un chacun tente de puiser ici et là les réponses que l’époque, tant au niveau des Sciences que des Humanités, ne peut apporter de manière sereine et aboutie. Les extrémistes s’invitent au débat et la réaction au schisme portée par les donatistes effraie les populations. La violence semble être la seule réponse donnée. Comment alors comprendre ce dieu d’amour qui engendre des tueurs fanatiques ? Alors qu’une idée n’est pas une race, une religion n’est pas un groupe ethnique nos rappelle Rushdie. Nous devons protéger les communautés mais on n’a pas à protéger les idées. Elles sont sujettes à critique et le désaccord intellectuel est un droit ! "On ne tabasse pas quelqu’un à cause de ses idées, mais j’ai le droit de tabasser ses idées."
 
Retourné, illuminé, Augustinus plongera dans le mysticisme le plus profond. Après avoir répudié sa femme, il entreprendra la rédaction de ses Confessions, faisant preuve d’un rare don pour la rhétorique associée à un style unique, "cette façon de faire percevoir la chair du verbe." Pour lui tout est lié à la grâce de Dieu. Il plonge ainsi l’homme dans une destinée qu’il ne doit pas contrôler. Lui enjoignant de demeurer docile, obéissant aux dogmes. Ce qui le portera à s’opposer violemment au moine breton Pélage dont le courant de pensée trouve un certain écho auprès des populations car il introduisait dans le dogme l’idée du libre arbitre. Or, s’attaquer à l’orthodoxie le voua à être excommunié.
 
On ne peut alors que s’interroger sur le contexte actuel. Faire un parallèle avec ce qui se déroule en  islam, qui voit les fondamentalistes tenter de régner par la terreur et se refusant à toute forme de dialogue. Stigmatisant derechef la femme : la faute, la chute… nouvelle preuve que tous les intégrismes sont à pleurer de bêtise. Qu’ils soient du Ve siècle ou du XXIe…
 
Alors, comme l’écrivit Saint Augustin, si l’on veut y croire encore un peu, il convient d’aller de l’avant. "Il y a encore chez les hommes un peu de lumière : eh bien ! qu’ils marchent, qu’ils marchent, pour que les ténèbres ne les saisissent pas !"

Annabelle Hautecontre

Claude Pujade-Renaud, Dans l’ombre de la lumière, Actes Sud, coll. "domaine français", janvier 2013, 300 pages, 21,80 €
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