L’amour tel qu’il est

                   

 

 

Emmanuelle Pagano, Claude Rouyer, « Le travail de mourir », Editions les Inaperçus, 47 pages, 13,50 E.

Emmanuelle Pagano, "Nouons-nous", P.O.L., Paris, 208 pages, 16 €.

 

Le ciel souverain de l’amour n’est sans doute que de la terre - celle qui manque sur terre et qui n’est que du ciel vu à l’envers. Mais sans cela et comme Emmanuelle Pagano le prouve la vie n’est qu’une misérable sarabande. Certes l’auteur ne se fait aucune illusion sur sa rédemption. Chacun commence sa vie comme cercueil et finit de même. Mais entre nos bornes du temps l’amour reste - écho de nos os et de notre viande - la seule valeur qui tienne en dépit de ses affligeantes afflictions. Le problème est presque optique : il faudrait voir avec le seul cerveau pour être lucide. Mais Emmanuelle Pagano en finit avec l’idéalisme philosophique. L’esprit humain ne voit rien. Il y a surtout le sexe et des affects (et tout ce qu’ils renfrognent dans l’inconscient) pour affronter le monde, l’autre et soi-même en premier.

 

Dans « Nouons-nous » l’auteure définit les postures et les impostures des sentiments amoureux et de leur confusion. Dans le « travail de mourir » l’approche devient terriblement touchante. Les photographies de Claude Royer lui donne une paradoxale beauté attirante : elles prouvent par leurs métaphores  que la mort ne supprime pas mais suspend comme un linge accroché au néant. Ce que les mots ne peuvent montrer  les photographies le disent afin de suggérer que celle qui ne parle plus que la bouche close (La Tante de l’auteure) et qui  n’a les oreilles ouvertes qu’en elle-même et pour rien garde quelque chose à exprimer dans sa passion immobilisée. Elle attend d’être rassemblée à celui qui a fini de toucher le temps. Qu’importe si avant il y eut des tromperies quelquefois apaisée au son d’un accordéon pathétique.

 

 

 

Reste l’essentiel : dans ces deux livres Emmanuelle Pagano démonte et démontre les affres de l’amour, sa solitude, ses maux de tête, ses égoïsmes, sa plénitude, ses brames même quand l’autre n’est plus là (ou ne l’a jamais été) pour les entendre.  L’auteure ramène donc au drame de la pensée humaine qui est celui de sa viande et de ses émotions. Mais quoiqu’on fasse et surtout si l’on tente de continuer à vivre sans amour, c’est lui qui pense à notre place et selon des modalités qui nous dépassent. Elles font parfois des saints ou des serial-killer. Elles laissent le plus souvent les hommes normaux et muets. Il faut donc une écrivain telle qu’Emmanuelle Pagano pour le souligner et permettre au « vrai » discours amoureux de se poursuivre. Elle casse le silence là où il veut s’aliter et où parfois deux êtres réfléchissent et fantasment chacun de leur côté. Ce qui n’empêche en rien au dur désir de durer. C’est pourquoi à la musique du silence de la chaise vide on préfèrera toujours l’aubade de scènes épiques ou mouchetées. Et qu’importe si dans le théâtre de la vie nous sommes des acteurs plutôt ratés.

 

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

 

 

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