L'incandescente

Claudie Hunzinger avait commencé son exploration familiale avec Elles vivaient d’espoir (Grasset, 2010) où elle racontait l’histoire de sa mère, d’abord amoureuse d’une jeune fille, Thérèse, puis d’un homme, Marcel. Fort heureusement pour nous, elle n’en avait pas fini avec l’amour fou. Car avant Thérèse, il y a eu Marcelle, qui a précédé Marcel, le père de Claudie. En rangeant des cartons, elle a retrouvé des lettres, des dossiers, des cours de littérature de Marcelle. Des souvenirs fascinants pour l’auteur qui est aussi artiste et qui à la nostalgie de cette époque révolue où on s’envoyait des lettres et où on les gardait. «Peut-être ma civilisation sait-elle en secret que rien ne lui survivra» écrit-elle au moment de repartir en exploration, en cherchant à reconstruire l’histoire de sa mère et des femmes qui l’ont accompagnée tout au long de sa vie.

«Tout avait commencé le premier soir des grandes vacances. Emma avait dix-sept ans, et c’était l’été 1923 à Puligny-Montrachet, un village ancien en Côte-d’Or.» Elle ne sait pas encore que la voisine qui vient de s’installer à quelques mètres de chez elle bouleversera son existence. Très vite, Emma sera «fascinée par Marcelle comme par une joueuse de flûte» et très vite les deux jeunes filles vont devenir inséparables. Après la bac, elles s’inscrivent toutes deux à l’école normale et passeront deux années inoubliables, leur amour étant renforcé par leurs découvertes littéraires et par le talent de leur professeur Suzanne Aymé, la grande sœur de Marcel, qui fut «un professeur d’existence, enseignant la dimension esthétique de la vie, c’est-à-dire affective».

Nommée enseignantes, elles doivent prendre des chemins séparés, mais s’écrivent beaucoup. Et bien. Car Emma a un projet littéraire et Marcelle écrit pour envoûter Emma. «Le temps d’Emma», titre de cette première partie lumineuse et exaltante, se lit aussi comme une ode à la liberté. « La voix de Marcelle me parvenait de si loin, je l’entendais, tout près, comme une injonction à ne jamais suivre les foules qui se rassemblent, à désobéir aux mots d’ordre, à refuser la terrible uniformisation qui s’est abattue sur nous.» Un don pour la rébellion dont la jeune femme aura besoin quand la maladie va la gagner et qu’elle doit partir pour le sanatorium.

Pour Emma et pour Marcelle vient alors le temps de nouvelles rencontres. D’un duo, on passe à un quatuor avec Hélène et Marguerite qui sont également soignées au sanatorium et que Marcelle entend séduire. Les parties suivantes du livre leur sont consacrées. Emma pour sa part croise le chemin de Thérèse, son Antigone. Car les destins tragiques semblent se confondre avec l’humeur d’un pays qui va oublier les années folles pour la montée des périls.

Jusqu’au «Champ des asphodèles», la dernière partie de ce roman tour à tour solaire et lunaire, on comprendra la fascination de l’auteur pour une mère obligée de fuir, de peur de se consumer, se retrouvant avec «ses douleurs. Ses hontes. L’enfer. L’ange exterminateur, amoureux et broyé.»

Après avoir rencontré Marcel dans les Vosges en 1935 – un père dont les différentes facettes restent encore à explorer – Emma s’installe en Alsace alors que le nazisme gagne tous les jours du terrain. Avec ses quatre enfants Manon, Bruno, Claudie et Christel, «Emma s’est réfugiée dans la littérature qui est l’enfance retrouvée». Apprendre le français à Colmar à ce moment-là, c’est encore être libre, insoumise. C’est aussi offrir à sa fille les moyens de nous enchanter, bien des années plus tard avec ce petit bijou de sensualité.

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