Apeirogon

Deux pères ont à quelques années d’intervalle perdu leurs filles. Rami l’Israélien a vu Smadar, tuée par trois kamikazes palestiniens. La fille de Bassam, Abir  quant à elle, a reçu une balle dans la tête, tirée par un garde-frontière israélien, alors qu’elle allait à l’école.  Les deux hommes, inconsolables, mais unis dans leur douleur fondent l’association Combattants for Peace. Leur but est-il de parler du mal pour l’exorciser, faire en sorte que plus jamais des jeunes filles ne meurent, victimes collatérales d’un affrontement séculaire ?
-être, mais pas seulement.

 Les deux pères avec leurs personnalités, leurs vécus différents, persuadés que La seule vengeance est de faire la paix, vont alors parcourir le monde pour raconter la mort des enfants, lutter pour que la paix revienne enfin dans cette partie du monde en guerre depuis plus de soixante dix ans.      

En géométrie, un apeirogon ou polygone infini est un polygone généralisé avec un nombre infini de côtés. On ne saurait trouver métaphore plus parfaite pour définir le conflit entre Israël et Palestine.

Le livre s’ouvre quasiment sur une scène surréaliste : Mitterrand savourant des ortolans à la veille de sa mort. Aucun détail n’est oublié : la  serviette blanche sous lequel le président se dissimule la tête : pour inhaler le fumet des oiseaux et, comme le voulait la tradition, se cacher du regard de Dieu.

Dieu, la tradition, les oiseaux, la complexité de l’histoire, de la culture, des religions de cette partie du globe sont les composants de ce récit éclaté, brillantissime où les multiples facettes de l’affrontement entre les deux peuples deviennent claires aux yeux du lecteur.

Le roman, comme une lumière diffractée par une lentille de Fresnel, mêle fiction et réalité, alterne les points de vue. Il se fait tour à tour bouleversant quand le Palestinien relate sa prise de conscience de la Shoah, le bracelet de bonbons multicolores qu’il transporte toujours avec lui en souvenir d’Abir ou baroque quand un chapitre de deux lignes nous apprend que la piscine de Saqqaf à Los Angelès contient cent vint et un mille litres d’eau. Information faisant suite à la description de la méthode la plus adaptée pour fabriquer des  chaperons pour les faucons venus par avion privé du Proche-Orient.

Entre fiction, poésie, documentaire, le souffle immense du livre de Colum McCann, auteur entre autres de Danseur, Et que le vaste monde poursuive sa route laisse entrevoir une lueur d’espoir au cœur d’une des plus grandes tragédies née au cœur du XXe siècle.


Brigit Bontour

 

Colum McCann, Apeirogon, traduit de l'anglais par Clément Baude, Belfond, août 2020, 512 p.-,  23 €

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