Ecrites avant la mort

Parfois la veille, parfois deux, trois, voire plusieurs jours avant. Pour d’autres, quelques semaines se passent entre le temps de l’écriture et le temps où la vie les quitte. En général datées, mais aussi sans repères dans la durée du conflit, comme si cette indication n’avait pas de sens. La mort fauche sans égard au lieu, au jour et à l’heure. Elles représentent les ultimes mots envoyés à ceux qu’ils aiment et auxquels ils pensent, en espérant les revoir bientôt ou un jour. Ou redoutant que ce ne soit jamais. Quand elle est mentionnée, ce qui est souvent le cas, par soustraction, la date indique combien ces hommes ont encore vécu avant de disparaître. Si peu, à l’aune de ce que leur âge devait leur permettre de vivre encore. Ils écrivent dans l’espoir d’une existence future, une fois la guerre finie, dans l’ignorance que ce lendemain attendu et qui est malgré tout à l’horizon, leur sera retiré demain ou bientôt. Mais beaucoup pressentent cette fin effroyable, ce terme d’un parcours trop bref, craint, appréhendé, d’autant plus offert pour la patrie. « Quand vous lirez cette lettre, c’est que votre fils ne sera plus ».

 

Par qui sont-elles signées ? Par Baptiste, Emile, Charles, Polo, Bébert. D’où partent-elles ? De Langres, Nieuport, Belrupt, « Aux armées », « En campagne », « Du front ». L’un est capitaine, l’autre est caporal, le troisième cycliste, un autre encore soldat de 1ère classe, celui-ci a déjà perdu un frère, celui-là est pupille de l’Assistance Publique et souhaite que l’on écrive « que G…est mort à Verdun, qu’il est perdu dans un grand champ de bataille comme un jour il fut trouvé dans la rue ». Les grades importent peu, c’est une identique fraternité qui les rapproche et les unit. On peut supposer qu’en face il en est de même, que des lettres similaires sont envoyées à d’autres familles pareillement inquiètes, se terminant par Hans, Heinrich, Wilhelm.      

 

La poste a acheminé les derniers messages de ceux qui, tombés au champ d’honneur, comptaient sur le destin pour leur donner de revoir, en principe, les destinataires. De là cette tendresse exprimée, ces remerciements adressés aux parents, ces conseils pour affronter le deuil prochain, ces mots d’espérance, ce partage de menus faits et de grandes souffrances, cet héroïsme, cette dignité qui de feuilles en feuilles, impriment des lettres d’or sur cette correspondance comme s’inscrivent de même les noms au fronton des monuments édifiés à leur mémoire. Certaines lettres sont courtes, comme hâtées par la nécessité d’envoyer des pensées aux siens. D’autres sont plus longues, détaillées, une autre est restée dans un portefeuille et a été retrouvée plus tard. Dans toutes, les mots qui les traversent se situent au plus haut des sentiments humains, appartiennent au langage du cœur, de la foi, de l’amour, de la bravoure, du service. Elles ont toutes le poids et la force que la vie donne quand son sort devient inconnu. Elles ont la simplicité du devoir accompli et la noblesse du sacrifice consenti.

 

Réunissant près de 150 lettres rédigées avant un assaut ou entre deux actions de combat, adressées à une mère, un père, une épouse, des enfants, un ami, émouvantes toujours mais jamais sans complaisance sur soi, elles laissent une manière de testament de ces militaires courageux jusqu’au bout d’eux-mêmes. Chacun peut accrocher un souvenir personnel à la lecture de ces pages. Il faut les lire lentement, une à une, en s’intégrant à ce drame pour en mesurer l’ampleur, la cruauté à laquelle leur valeur individuelle finit par transmettre une certaine beauté.

 

Dominique Vergnon

 

La dernière lettre, écrite par des soldats français tombés au champ d’honneur, 1914-1918 ; éditions Michel de Maule, 240 pages, 15x21 cm, janvier 2014, 18 euros.                   

 

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