La peau sur les mots, 101 pages de littérature

Ce texte majuscule est composé de fragments d'une correspondance réelle échangée entre l'écrivain Hafed Benotman emprisonné à Fresnes et l'écrivaine Brigitte Guilhot.
Je suis tombée amoureuse de ces deux-là, que Benotman repose en paix, il m'a cueillie au cœur.
Peu de livres parus récemment peuvent se targuer de parler ainsi de littérature, d'écriture, de l'érotisme de l'écriture et du lien amoureux inscrit dans l'enfermement.
La beauté de ce texte de haute voltige érotique (sans un gramme de chair dénudée) exige d'en dire le moins possible, il serait sacrilège de porter atteinte au pouvoir des mots que s'échangent ces deux écrivains. Parce c'est là justement tout l'enjeu de leur correspondance : le pouvoir des mots filtrés au parloir et celui de ceux qu'ils alignent sur leurs lettres, jours après jours, années après années, les mots tissent le lien amoureux, et par l' écriture, l'absence et le manque se font matière.
Les amants, qui n'en sont pas, s'approchent au plus près d'eux, du rebord de leur possible pour en faire une oeuvre d'écriture, de chair et d'existence.
...Qu’allons-nous inventer dans cette rencontre d’amour pour que nos corps s’abandonnent sans autre forme de contact que ton pouce – un instant – posé sur mon poignet ?....
....Est-ce qu’il y a un service « consigne vide », Murdos ? Est-ce que je pourrai ramener le pull vidé d’odeur pour qu’il soit rempli à nouveau ? J’ai pensé à ça dans le bus, à ton « tu me promènes », et je me suis demandé ce que tu en fais....
La conversation intime empreinte de poésie n'est pourtant ni romantique, ni aveugle, au contraire, elle ouvre grand les yeux sur le monde du dehors et tente l'expérience de l'intime connexion en évitant l'écueil de l'épuisement amoureux. Les écrivains s' envoient aussi des textes sur lesquels ils travaillent, et l'un et l'autre interrogent la littérature, l'enfermement, ce que sont les prisons, le formatage social, l'amour, le désir, les corps...
Alors si par principe ou par goût vous n'avez encore jamais lu sur tablette, liseuse, ordi ou autre écran, déniaisez-vous avec cette si jolie Peau sur les mots qui paraît chez Ska éditeur, vous n'oublierez pas l'intensité de cette première fois , qui vous prouvera aussi que lorsqu'un texte est bon, peu importe son support.
Anne Bert
En savoir + sur Hafed Benotman
La Peau sur les mots, Hafed Benotman et Brigitte Guilhot , éditions Ska, 2015, format numérique, 101 pages, 3.99 euros.
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