Craig Johnson, La Dent du serpent : Du gros calibre

A priori, au vu de la géniale présentation de Craig Johnson réalisée par son éditeur en France, cet auteur a tout pour déplaire : sa photo nous montre un affreux bouseux portant un Stetson blanc et l’on nous dit, croyant nous mettre en confiance, qu’il a été «  policier, professeur d’université, cow-boy, charpentier et pêcheur professionnel » avant de s’installer «  sur les contreforts des Bighorn Mountains, dans le Wyoming », où il possède un ranch et où, imagine-t-on, il marque au fer rouge de pauvres petits veaux, des enfants du voisinage et des lectrices new-yorkaises. 

Allez donc visiter le Wyoming : l'on vous jure ici que vous qualifierez la Haute-Savoie de paradis pour les intellectuels.

Nous armant (sic) de patience, et d’un courage qui n’a d’équivalent que notre redoutable honnêteté intellectuelle, notre sens de l’équité et notre respect pour les maisons qui disposent, selon leur site Internet, de traductrices compétentes et d’une « relectrice efficace » (sic), nous avons empoigné ce thriller, présenté comme roman à « suspense » en lequel un shérif  nommé Walter Longmire, déjà connu de nos services (Craig Johnson a donné 7 romans aux lecteurs français et plus de 10 aux Américains), arpente le Wyoming à la poursuite des méchants et… bien nous en a pris, finalement.

Malgré un début poussif (adjointe du shérif invraisemblablement charmante, bière Rainier sur tous les comptoirs, Mormons casse-couilles, etc…), l’intrigue se met à galoper dès la page 109, nous promettant encore 260 pages de plaisir. Déjà pas mal ! Voici que la secte proto-mormone se révèle être un cache-sexe pour des activités plus lucratives, voire oléoduquées, et qu’en fin de compte les vilains sont de vrais méchants, qui profitent des arroyos et des canyons pour liquider des shérifs, lancer des couteaux sur leur adjointe (ravissante même avec un manche de schlass qui lui sort du bide) et pire : menacer un géant indien surnommé « la Nation cheyenne » ou « l’Ours », adjoint du shérif Longmire et qui manie le Barrett .50 comme vous et moi. Or ce géant est rancunier…

À ce propos, on peut féliciter et l’auteur et la traductrice : les armes lourdes sont correctement décrites dans ce roman, et même les lunettes de visée font l’objet d’une enquête pointilleuse : on ne saurait trop recommander le même effort aux auteurs français, qui confondent souvent .45 et .50, ignorent que les balles de notre époque, depuis le célèbre Barrett, les H.K., puis les Remington traversent certains blindages, et sont infoutus de renseigner la lectrice ou le lecteur sur l’histoire d’Underwood, fabricant de machines à écrire puis d’armes de guerre… (Oui, Mesdames Messieurs, le fameux M-1 portait le même écusson que la machine à écrire de votre papa !) Félicitons donc au passage la « relectrice » émérite ; elle oublie qu’un McMillan TAC-50 de chez McMillan Bros. Rifle Company ne peut être utilisé qu’avec un affût : la bête pèse 12 kg tout de même, mais elle a dû vérifier que c’était bien le géant indien qui manipulait ce très long fusil d’assaut, auquel cas il devrait pouvoir le soulever de sa dextre cyclopéenne.

Cessons de pinailler, afin de révéler enfin les principales qualités de ce thriller : un humour assez ravageur, qui produit maintes bizarreries de traduction mais, là encore, Sophie Aslanides s’en tire très honorablement… humour qui, heureusement, n’affecte pas le suspense et ne compromet pas la force, que dis-je, l’effroyable puissance d’un final terrifiant !

Car l’on vous gardait le meilleur pour la fin : le chapitre 16 est un chef-d’œuvre, les 30 dernières pages dans Sulphur Creek sont sublimes, et l'on rêve d’un Tarantino pour adapter au cinéma ce… ce truc monumental. Voilà ce que les quatrièmes de couverture devraient annoncer : vous allez vous ennuyer un peu au début, vous allez sourire, rire parfois, mais cela n’est rien ; on vous promet du hors-norme, du grandiose, du dantesque. Et ici, la promesse est tenue.

Bertrand du Chambon

Craig Johnson, La Dent du serpent, éditions Gallmeister, mai 2017, 371 pages, 22,80 €

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