Les voyages forment la Genèse

Ouvrage de vulgarisation au sens le plus positif du terme, ce livre entraînera le lecteur dans les méandres de la matière, depuis l’émergence de l’espace-temps jusqu’à la supréamatie d’Homo Sapiens, dont nous sommes les représentants plus ou moins dignes.


Saluons le style fluide, à sauts et à gambades, de l’auteur, exerçant la paléanthropologie au Collège de France. Le hasard a voulu que l’ouvrage paraisse peu de temps avant la disparition de Claude Levi-Strauss, souvent cité dans le livre de Pascal Picq, qui lui rend ainsi les honneurs que son œuvre et son travail lui confèrent sans l’ombre d’un doute.

Humour, allusions, répétitions pédagogiques, références inattendues (Lewis Carroll, auquel l’auteur dédie l’ouvrage) contribuent à divertir le profane qui risquerait bien vite, en dépit de la simplicité et de la clarté des métaphores utilisées par l’auteur, de lâcher prise, au milieu de l’historiographie de la physique quantique et des querelles des paléontologues relatives à l’aparition de l’homme sur Terre. Parfois, quelque obscurité pourra dérouter ceux qui n’ont pas quelques bases ou prémices de physique ou de chimie. Mais l’originalité de l’ouvrage, qui ne se cantonne pas au domaine de l’astrophysique, à l’instar d’Une brève histoire du temps de Hawking, titre qui vient immanquablement à l’esprit à la lecture de l’opus de Pascal Picq, mais qui sait aborder avec versatilité et exhausitivité la biologie, la chimie, la sociologie, la religion, la mythologie comparée, la linguistique, et même parfois une certaine poésie qui témoigne de la passion de l’auteur, de son émotion lors de la remémoration, forcément artificielle, scientifiquement pensée, de ces âges effacés de la mémoire réelle, de ces époques à jamais perdues qui virent dans la primeur de notre évolution jaillir du cerveau de quelques grands singes arboricoles le stimulus qui les poussa à coloniser des espaces inconnus tout en se donnant, le saura-t-on jamais, la perception cognitive de leur environnement, nécessaire condition à tout désir de conquête.

Partant du texte de la Genèse, donné en annexe, l’auteur se plaît à tracer les frontières entre sciences, mythologies et religions, entre quête scientifique, à l’ombre du géant Darwin, scientisme querelleur, où Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier s’affrontent, et créationnisme absurde, vecteur d’atrocités de la pensée, de ce racialisme soit-disant épistémologiquement valide, et qui ne constitue qu’un avatar nauséabond de l’éternel anthropocentrisme, souvent occidental, assorti des dogmes théologiques qui ont conduit Giordano Bruno, théoricien des autres mondes, ou Vanino Vanini, apparentant le premier l’homme au singe, sur le bûcher.

L’information purement scientifique, le rappel des fondations de l’Univers, la description de ce Big Bang qui n’en était pas vraiment un, les explications des différentes expériences ayant abouti à la découverte des acides aminés, à celle de l’ARN puis de l’ADN, l’explication subséquente de la formation de la vie sur Terre, ou de façon exobiologique, sur la surface des planétoïdes et des météorites, tout cela non seulement forme un bouillon de culture comparable à cette Ur-Soup d’où jaillit l’espace et le temps il y a quelque quatorze milliards d’années, mais aussi amène le lecteur à considérer en quelques pages (l’ouvrage est relativement court) la vertigineuse dimension du temps, le gouffre cosmique qui nous fit jaillir de sa non-existence et qui nous ramènera, humbles poussières d’une immensité qui n’en est pas une, puisqu’elle est sans limites, à l’état de souvenir de la matière au gré des éons aveugles qui atténuent jusqu’à l’éclat des étoiles. Rendons justice à cet aspect remarquable de l’ouvrage, preuve indéniable de l’humilité et de la modestie intellectuelle de l’auteur, qui n’a de cesse de relativiser nos visions du monde et nos découvertes scientifiques. Pascal Picq condense en quelques chapitres, comprime en quelques paragraphes les millions de milénaires qui ont conduit à l’apparition de la pensée.

C’est justement là que l’ouvrage prend sa dimension véritable, là qu’il trouve un intérêt dépassant la vulgarisation scientifique, intérêt plus qu’honorable en ces temps où l’obscurantisme refait dangereusement surface, sous la forme de l’ignorance ou du déni d’apprentissage : l’auteur propose une téléologie de la naissance des cosmogonies. Passionnantes réflexions, sur fond d’évolution des différentes espèces d’hominoïdes, du genre Homo, depuis Homo Ergaster il y a près de deux millions d’années, à Homo Sapiens, en passant par tous ces noms topiques, ces frères en humanité, Lucy, Toumaï, Homo Neanderthalensis, Homo Erectus, et tant d’autres, encore à découvrir. La thèse de l’auteur est simple : ce qu’aucun mammifère n’a pu accomplir, à savoir voyager, aller au-delà de l’horizon visuel de quatre-vingt kilomètres, le grand singe auquel nous devons notre civilisation, a su le faire en quittant son monde arboricole pour aller vers un au-delà afin d’y trouver du nouveau. Il n’a pu le faire que parce qu’il avait en lui des représentations cosmogoniques de son espace et de son temps. Nos lointains ancêtres se paraient (lumineux rappel de l’étymologie du terme ‘cosmétique’ en rapport avec le cosmos !), et enterraient leurs morts, ainsi qu’en témoigne la sépulture somptueuse d’Atapuerca en Espagne, préhistorique témoignage de cette pratique qui atteste de la conscience de la vie, du temps, des passions, de la société en un mot.

Et il est passionnant de lire ces comparaisons entre les singes Bonobos, décrits en termes de société, et nous : l’homme singe les singes, pourrait-on dire avec ironie. Associé à ces constats anthropologiques et sociologiques, le discours sur les religions et sur la Genèse, qui donne son titre, indirectement, à l’ouvrage, achève d’Associé à ces constats anthropologiques et sociologiques, le discours sur les religions et sur la Genèse, qui donne son titre, indirectement, à l’ouvrage, achève d’exposer le message de l’auteur : il n’y a qu’une espèce, et l’homme n’a fait que trahir cette vérité ultime, pourtant implicitement contenue dans la Genèse même, pourtant sans aucune valeur scientifique ! L’auteur rappelle la triste histoire des Amérindiens (80 millions de morts…), la triste histoire des controverses telles que celle de Valladolid qui tentait de prouver que les habitants conquis des Amériques étaient bien des hommes… Enfin, quelques explications sur la sexualité, l’émergence de la domination du patriarcat dans le cadre des sociétés de l’agriculture supplantant, mystérieusement, la non-économie de la chasse/cueillette,l’érotisation du monde, jusque dans ses possibles fondements préhistoriques. Il s’agit d’un plaidoyer pour la reconnaissance non seulement de l’unicité de l’espèce Homo, mais aussi de sa complexité, de sa diversité, et de sa fragilité (n’étions-nous pas, il y a finalement peu sur l’échelle cosmique, plusieurs espèces d’hommes à peupler les continents terrestres ?). Malheur à ceux qui veulent stigmatiser les différences, ou se fourvoyer dans la recherche d’une origine unique et commune, c’est là le chemin qui mène à des catastrophes bien connues.

Il serait vain de résumer un ouvrage peu réductible, par ailleurs, à une telle procédure : les retours en arrière, les anticipations, et les ellipses en sont la caractéristique, et doivent donc rester l’apanage du discours choisi par l’auteur. Le lecteur ira cueillir sur les champs d’investigation ouverts par l’auteur les fleurs éparses du récit de notre existence, qui ne constitueront jamais qu’un bouquet sauvage et dépareillé, mais qui n’en est que plus beau : comme le rappelle l’auteur, il n’ets pas besoin de connaître la cause ultime d’un phénomène pour avoir un discours scientifique à son sujet, comme c’est le cas pour l’attraction des corps, dont la raison reste inconnue, à défaut du mécanisme.
Ces cosmogonies préhistoriques, ces rêveries, ces incantations disparues dans la cendre des premiers feux alimenteront longtemps encore le questionnement éternel de l’esprit, du moins à l’échelle de cette courte éternité que constitue l’exsitence des hommes.

Romain Estorc

Pascal Picq, Le Monde a-t-il été créé en sept jours?, Perrin, octobre 2009, 19,50 euros.

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