La dernière adaptation cinématographique des aventures d"Arsène Lupin est un enfer pavé de bonnes intentions.
Effet l'Arsène
Le film de Jean-Paul Salomé Arsène Lupin avait attiré l’an dernier en France un peu plus d’un million de spectateurs. Ce chiffre, en soi assez imposant, ne le plaçait pas moins dans la catégorie des échecs historiques du cinéma français, puisque le public visé était le grand public. Rappelons, à titre de comparaison, que la Revanche des Sith a dépassé le million de spectateurs en quelques jours.
La
sortie DVD permettra sans doute au gentleman-cambrioleur de devenir un
peu plus « populaire », mais il n’y aura pas de miracle, pas de procès
en appel : Arsène Lupin est et reste un mauvais film.
On
se gardera d’expliquer cet échec en recourant à la traditionnelle
rengaine selon laquelle la multiplication des effets spéciaux dans un
film aurait pour corollaire l’évanescence de son scénario. Ici, ce
serait plutôt le contraire : ce sont les trucages infographiques qui
donnent à ce Lupin un peu d’âme. Les subtiles variations
« faustiennes » du visage de Kristin Scott Thomas parviennent à nous
faire croire que sa Cagliostro pourrait bien être immortelle ; la
reconstitution de certains paysages parisiens en images de synthèse nous
fait voyager dans le temps de façon convaincante.
Le mal en fait est plus profond — dans le principe même du scénario : Arsène Lupin entend nous raconter une véritable histoire. Nous révéler comment Arsène Lupin est devenu un jour Arsène Lupin. « Découvrez comment tout a commencé », disaient
les affiches, et aujourd’hui la jaquette du DVD. Mais c’est là
l’erreur : si les héros populaires ne meurent jamais, c’est parce qu’ils
ne sont jamais vraiment nés non plus. Ils ont, d’une certaine manière,
toujours été là. Imagine-t-on une histoire dans laquelle on verrait la
naissance et l’enfance de Tintin ? Maurice Leblanc avait bien compris
cette nécessité : si l’on relit ses œuvres, y compris celles qui, comme Arsène Lupin contre Herlock Sholmès, prétendent
observer la forme romanesque, on s’aperçoit que l’unité narrative est
toujours le chapitre et que, si roman il y a, c’est toujours un roman-feuilleton. Cette
forme a pu avoir au départ des raisons purement matérielles (entre
autres la publication initiale des textes dans les journaux), elle n’en
touche pas moins à l’essence même du héros : la fragmentation de ses
aventures est l’écho de son pouvoir de résurrection. Arsène Lupin est un
héros idéal de séries télévisées ; dans un long métrage, et, qui pis
est, dans un long métrage qui entend exposer ses origines, il étouffe.
Bien sûr, on nous dira que le cinéma américain ne cesse de construire ses super-héros en racontant leurs jeunes années : Superman, Spider-Man et
bien d’autres films exposent toujours longuement les traumatismes qui
ont transformé Superman en Clark Kent ou Peter Parker en
Homme-Araignée. Mais ces héros-là appartiennent à la catégorie des héros
déchirés, pour ne pas dire schizophrènes. Et quand eux ont deux
identités, Arsène Lupin en a mille, ce qui prouve bien son profond
équilibre et sa grande unité. Lupin joue sans arrêt des rôles ; Lupin
s’amuse. Peter Parker, lui, est l’Homme-Araignée, et c’est bien là son drame.
En outre, le traumatisme imaginé ici pour Lupin le prive de son statut héroïque. Pourquoi le jeune Lupin est-il devenu cambrioleur ? Parce que son père l’était déjà et l’a contraint à prendre sa succession. Traduisons : Lupin & Fils, maison fondée il y a plus d’un siècle. Pauvre Arsène, relégué au rang de fonctionnaire du cambriolage. Outre qu’il y a là quelque chose de profondément choquant du point de vue moral, il y a aussi une absence totale de dynamique. Maurice Leblanc n’a jamais été très clair sur les origines de son héros, mais les quelques allusions lancées çà et là au détour des histoires laissaient supposer que Lupin était comme le Renard du Roman de Renard : il était le peuple se vengeant enfin des offenses endurées pendant des siècles. Il était moins le fils d’un cambrioleur professionnel qu’un petit-fils de Jean Valjean.
Les scénaristes, qui ont peut-être voulu damer le pion à Rouletabille, que l’on reverra bientôt sur les écrans dans le Parfum de la dame en noir, ont voulu introduire un conflit freudien entre Lupin père et Lupin fils. Ils ont oublié que, chez Gaston Leroux, Larsan l’escroc avait engendré un Rouletabille tout entier dévoué à la défense du bien ; c’est cette contradiction qui fait de Rouletabille une figure mythique. Mais la rivalité entre deux escrocs, quand bien même l’un serait le père et l’autre le fils, n’est qu’un pesant pléonasme. Rouletabille, donc, reviendra ; mais Arsène Lupin, en tout cas cet Arsène Lupin, restera où il est.
FAL
ARSENE LUPIN
un film de Jean-Paul Salomé
d'après le personnage de Maurice Leblanc
avec Romain Duris, Kristin Scott Thomas, Philippe Lemaire
2h10
sortie en salles octobre 2004
sortie en DVD juin 2011
1 commentaire
Tout à fait d'accord avec votre analyse du film !
Toutefois il vous intéressera peut-être de voir notre pièce : "Arsène Lupin contre Herlock Sholmès" au Théâtre Pixel (18 rue Championnet 75018 Paris) les dimanches à 17h30 jusqu'au 26 mai.
Voici le site du spectacle : http://cietetedorange.wix.com/arsenelupin
En espérant vous réconcilier avec les adaptations d'Arsène !