Unité de lieu, unité d’action… Timecrimes est un film qui aurait beaucoup plu au vieux Boileau si l’unité de temps n’y était sacrément malmenée.

DECALAGE HORREUR

Parce que c’est un film de science-fiction et parce que la science-fiction est le plus souvent un genre anglo-saxon, on comprend bien pourquoi on a gardé pour la France le titre international Timecrimes, lequel — soyons lacanien ! — contient en outre une espèce de rime qui n’est pas sans rapport avec le sujet même. Il n’empêche que l’hispanité de los Cronocrímenes s’impose comme une évidence, et que Nacho Vigalondo, le réalisateur, a dû relire son Borges et son Bioy Casares avant de se mettre à rédiger son scénario. (Ce sont ces références littéraires, si implicites soient-elles, qui nous font dire ici un mot de cette película.)

Ces Cronocrímenes ont raflé un nombre impressionnant de prix dans divers festivals, mais ils n’ont guère été présentés en salles et font partie de ce que l’on appelle en anglais, d’un terme assez dédaigneux, les « direct to video ». Plusieurs raisons à cela sans doute : une intrigue dont le principe tient sur un timbre-poste, un nombre de personnages extrêmement réduit (quatre et demi, pourrait-on dire), et un décor unique ou presque… Depuis la terrasse de sa villa, Héctor, la cinquantaine moyennement dynamique, aperçoit à travers ses jumelles une jeune fille en train de se déshabiller ; piqué par la simple curiosité ou par le sentiment qu’on voudra, il se lève de sa chaise pour la rejoindre au milieu de la forêt. Mais une double mauvaise surprise l’attend quand il parvient sur les lieux : 1. elle est morte ; 2. alors même qu’il se penche sur son cadavre, un inconnu dont la tête est entièrement recouverte d’un bandage surgit derrière lui pour lui planter sauvagement dans le bras la pointe d’une paire de ciseaux. Révélons tout de suite tout, mais en fait très peu de chose (car le mystère n’est pas tant dans les faits eux-mêmes que dans leur agencement et dans leurs conséquences) : l’inconnu qui poignarde Héctor n’est autre qu’Héctor lui-même. Car, sans le savoir, Héctor ne s’est pas contenté de traverser la forêt. Il a aussi traversé le temps.
 
Los Cronocrímenes échappe avec brio aux incohérences qui sont le lot de presque tous les films qui jouent sur des « paradoxes temporels », en particulier sur celui de la duplication (à notre connaissance, seul le TimeCop de Jean-Claude Van Damme avait réussi à observer de bout en bout sur ce thème une rigueur mathématique), et même, ici, de la « triplication » (car vers la fin un Héctor ter entre en scène…), mais cette victoire est un peu une victoire à la Pyrrhus, dans la mesure où jamais l’ombre d’une motivation n’est proposée au spectateur pour lui permettre de comprendre le comportement des personnages. Ceux-ci font ce qu’ils font tout simplement parce qu’ils l’ont déjà fait (en tout cas, leurs doubles l’ont déjà fait une heure plus tôt).

Si l’on ne demande rien d’autre qu’un simple exercice de style, ou si l’on apprécie les piétinements de l’Absurde, ou si l’on croit à la toute-puissance du fatum, on pourra trouver ce film pleinement satisfaisant. En revanche, on restera sur sa faim si l’on s’étonne qu’Héctor 1 n’essaie jamais d’engager la moindre discussion avec Héctor 2. Car enfin, si nous avions l’occasion de nous rencontrer un jour nous-même au coin de la rue, n’aurions-nous pas envie de nous parler ?

À vrai dire, los Cronocrímenes est même diablement inquiétant si l’on s’avise d’y voir une métaphore de l’Espagne actuelle. Dans cette lutte sans merci entre un individu et lui-même, et qui ne connaîtra d’issue (issue au demeurant très incertaine) que par le recours au mensonge entre le héros et son double, il n’est pas interdit de distinguer l’ombre de la guerre civile, et, si l’Inquisition et le franquisme appartiennent désormais à l’histoire, la question basque reste encore là, qui ne semble pas près d’être définitivement résolue. Origines et racines, que de crímenes on commet en votre nom ! Finalement, il n’est peut-être pas si mauvais que toute l’Europe doive parler anglais et qu’on déguise Cronocrímenes en Timecrimes : cet « arbitrage » extérieur permet de réduire certaines hostilités intérieures. Les Belges l’ont bien compris qui, qu’ils soient flamands ou wallons, désignent le plus souvent leur pays in English sous le nom Belgium dans leurs documents officiels.

Une dernière chose : ne vous laissez pas refroidir par l’illustration repoussante qui « orne » la jaquette du dvd. Le film lui-même, quoiqu’il contienne quelques images éprouvantes, est nettement plus séduisant.

FAL

TIMECRIMES
un film de Nacho Vigalondo
Avec Karra Elejalde, Candela Fernandez, Bárbara Goenaga 
1h32
sortie en DVD juin 2009

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