Les beautés de la nature révélées

Entrelacs végétaux, orages, études de déluge, constellations célestes, tourbillons d’eau et ailes d’oiseau, que ce soit à la sanguine, à l’encre brune ou à la pierre noire, inlassablement Léonard de Vinci dessine, observe, rapproche, confronte. Codex Leicester, Codex Atlanticus, sur des milliers de feuillets, des pages de carnets par centaines, il consigne ses inventions et note ses découvertes. Il est dans une admiration constante envers ces manifestations de la nature qui se révèlent dans leurs grandeurs ou leurs détails et l’intriguent davantage à mesure qu’il avance dans ses recherches et repoussent toujours plus loin sa curiosité.

 

Quelques cinq siècles plus tard, Philip Ball, diplômé des universités d’Oxford et de Bristol, expert reconnu au niveau international notamment en biologie, rédigeant régulièrement des articles pour diverses revues scientifiques dont Nature, se penche à son tour avec la même fascination sur cet univers des infinis. La terre, la mer, le ciel, les roches, les animaux, les insectes font partie de ses champs d’investigation habituels. Il semble que rien du monde où nous vivons, dans sa diversité comme dans son unité, ne lui échappe, ne lui est étranger, ne lui est incompréhensible. A l’œil guidé par ses connaissances, les réseaux des nervures des plantes, les spirales des coquillages, les stries des pelages, les criquets migrateurs apparaissent non seulement comme d’étonnantes géométries mais encore comme des données éternelles. Autant la symétrie des alvéoles des abeilles que la fantaisie des épines de glace, tout devient en sa compagnie, à proprement parler, extraordinaire. Au fil de ces pages, ce sont à la fois des décorations éblouissantes par l’éclat des couleurs et des géométries confondantes par la complexité des structures qui sont proposées à notre désir d’apprendre. Ces chefs-d’œuvre que seul signe l’anonymat du mystère et que les photos illustrent au plus près des microscopes, au plus loin des télescopes, semblent certes façonnés par le hasard mais en réalité ils obéissent à un ordre supérieur, innommé, invisible, premier depuis les origines. Ce que la science entrevoit, la nature le conçoit avec une volonté d’esthétique inconcevable, reprenant des motifs et des rythmes élémentaires pour élaborer les configurations les plus inattendues. Il n’y a plus de frontières à l’imagination des choses, à la subtilité, à l’exubérance, à la surprise dans leurs volumes, leurs contours, leurs unions.

 

Sur les objets les plus communs ou les organismes les plus rares, ces caprices crédibles relèvent de processus mathématiques, physiques, chimiques, que seuls de longs examens permettent d’entrevoir et de saisir. On apprend que les galets bien agréables à tenir dans la main et apparemment si lisses présentent des parties concaves et d’autres convexes et que le « graphique de distribution des courbures inclut des valeurs positives et des valeurs négatives ». Faut-il mentionner ces fééries que sont les méduses, feux d’artifice multicolores flottant comme d’étranges soucoupes, avec leurs filaments souples et ces dômes malléables ? Autre miracle spontané, les écailles alaires des papillons qui dispersent la lumière, reflétant certaines couleurs et pas d’autres ! Nouvelle stupéfaction quand, abordant les cellules bactériennes, on remarque avec quelle incroyable liberté elles communiquent et ébauchent des sortes d’étoiles fragiles, le noyau central explosant en une chevelure surréaliste. 

 

En mettant ses compétences au service de ceux qui s’intéressent aux prodiges d’une nature aussi généreuse qu’ingénieuse, l’auteur de cet ouvrage en tous points passionnant invite le lecteur à se laisser à son tour séduire par ces débordements de somptuosités. Sa lecture n’exige pas de formation technique particulière. Il suffit de se laisser emporter par ce déploiement d’effets dynamiques, qui témoignent de la puissance de la matière et de la vie. Philip Ball se réfère souvent aux travaux des chercheurs qui ont travaillé dans ces domaines, comme Alan Turing, qui a formulé des théories remarquables. Il épèle, de manière limpide et évitant les notions trop savantes, le langage de ces phénomènes insoupçonnés et résout pour nous les équations compliquées. Un des aspects les plus captivants du livre est peut-être celui qui porte sur les correspondances et les convergences entre le minuscule et le majuscule, le petit et l’immense, l’éphémère et le durable. Quoi par exemple de plus spectaculaire que ces vues de ramifications hydrographiques ou d’éclairs comparées à ces fractions de cristaux, que les ondes des dunes avec celles des mollusques, que les tournoiements des tornades avec les enroulements des galaxies? Autrement dit, toutes ces similitudes qui, bien que changeant d’échelles, passant de l’invisible caché au grandiose visible, gardent un agencement identique et mettent en évidence combien commande sur le chaos une logique venue de l’au-delà du savoir de l’homme. Un savoir que son intelligence découvre non sans émerveillement.

 

Dominique Vergnon

 

Philip Ball, Formes et motifs dans la nature, l’ordre caché du monde sous l’apparent chaos, éditions Ulmer, 288 pages, 400 photos, 22x26 cm, 35 euros (parution : 6/10/2016)

 

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