"36 façons de mourir", retour dans le passé

Dan Slott rentre chez Marvel dans les années 90 par la petite porte. Si bien que personne ne le voit réellement arriver. Embauché comme stagiaire sur un malentendu, il finit par se faire suffisamment remarquer pour qu'on lui confie des comics pour enfants. Slott fait son trou, doucement. Puis, il s'en va chez le concurrent DC Comics pour écrire "Les Patients d'Arkham", mini-série dessinée par Ryan Sook qui rencontrera un succès à la fois critique et public (et traduite l'année dernière chez Urban Comics).

Dan Slott retourne alors chez Marvel où il va poursuivre sa trajectoire ascendante. "Miss Hulk", puis "Avengers: The Initiative", des séries qui finissent d'installer le bonhomme chez l'éditeur : ce n'est pas un scénariste "bankable" comme on dit, pas un Brian M. Bendis ou un Mark Millar, mais il fait le job, et il le fait bien.
La consécration arrive enfin quand on l'appelle au chevet du personnage adoré de l'artiste, Spider-Man. La continuité de l'univers de l'Araignée vient d'être remise à zéro après "Un Jour nouveau" : Peter Parker n'a jamais été marié, son identité secrète (révélée dans Civil War) n'est plus public et il est à nouveau photographe sans le sous (il vit en colocation avec un policier). Un reboot vécu comme une hérésie par les lecteurs fidèles. Slott doit ramener le titre dans le bon chemin (comprendre, celui des ventes), et il sera l'homme de la situation. "36 façons de mourir" est la première saga qu'il scénarise après son arrivée sur le titre. Et justement Panini Comics vient tout juste de la rééditer dans la collection Marvel Deluxe.

Et Spidey va avoir fort à faire, puisqu'il va affronter du lourd, du très lourd. Imaginez un peu : Norman Osborn alias le Bouffon Vert, alors à la tête du groupe des Thunderbolts comprenant Venom, et Eddie Brock, ancien adversaire de l'Araignée passé du côté des gentils. Mine de rien, Slott ramène en une seule fois pas moins de trois des grands adversaires historiques du héros. Et tout ce beau monde aux trousses du héros, bien entendu.

Car tout le paradoxe de cet album, c'est que Dan Slott commet l'erreur classique du débutant fébrile, et qu'il s'en sort quand même. À vouloir trop bien faire parce qu'il ne sait jamais si il aura l'occasion de continuer, il cumule un maximum d'éléments qui lui tiennent à cœur. Rien que Norman Osborn aurait suffit à construire une histoire solide, mais non, Slott semble vouloir ajouter des adversaires et des intrigues. Tout autre scénariste se serait planté. Mais là, non. Dan Slott réussit l'exploit de faire tenir l'ensemble. Et il y parvient parce qu'il rythme son histoire, lance des sous-intrigues, et maintient le suspens intelligemment. L'apport de l'équipe chargée des dessins est incontestable : aux dessins John Romita Jr retrouve un personnage qu'il a longtemps illustré, Klaus Janson est en forme olympique à l'encrage, et Dean White parachève le travail aux couleurs, magnifiques. On a connu pire équipe : celle-ci transcende carrément le script. L'édition en grand format des Marvel Deluxe permet d'apprécier vraiment le travail.

"36 façons de mourir" n'est pas de l'art, mais de la bonne vieille bd accessible à toute le monde conçue pour se détendre, et c'est déjà pas mal. En fan absolu de Spider-Man, Slott glisse ses références aux anciens lecteurs. De bonnes références. Il ramène le Norman Osborn vicieux qu'on aime détester. Il redonne une vie sociale à Peter Parker (Harry Osborn est de retour). Il recrée l'ambiance des vieux Spider-Man d’antan, et nous transporte à l'époque où le héros combattait le vilain du jour autant à coups de poing qu'à coups de blagues et de bons mots.

Un joli plaisir coupable.


Stéphane Le Troëdec


Dan Slott (scénario) et John Romita Jr (dessins)
Spider-Man - 36 façons de mourir
Traduit de l'anglais (USA) par Khaled Tadil
Édité par Panini France (janvier 2015)
Collection Marvel Deluxe
312 pages
28,50 euros 
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