Vivre & laisser mourir : le Traité de la mort sublime selon Salvatore Schiffer

Il ne fallut que quelques notes, une mélodie particulière que le destin farceur s’échina à graver dans notre mémoire pour que le mythe advienne : David Bowie publia son tombeau musical, Blackstar, deux jours avant de mourir, et un an pile après une rencontre particulière avec son producteur au cours de laquelle il lui annonça être condamné par un cancer du foie incurable…
Et à l’écoute de l’album, Daniel Salvatore Schiffer perçut un angle d’attaque pour évoquer ce dandysme mortifère qui hante sa réflexion philosophique.

Ce florilège en forme de manifeste regorge de citations et de mises en abime qui permettent au lecteur d’appréhender l’idée même de la mort au-delà des ressentis primaires qui nous affectent, et pousse la porte d’un possible plaisir à affronter l’idée, défi illusoire des contournements qui viseront à repousser l’inéluctable, à danser au-dessus du volcan, à accepter ce qui n’a, finalement, rien d’inacceptable puisque c’est la finalité même de la vie : mourir.
Alors autant le faire avec panache, jouir jusqu’au dernier souffle, moquer le hasard qui n’est pas qu’une suite de coïncidences.

Daniel Salvatore Schiffer dresse un véritable état des lieux de tous ceux qui ont osé jouer avec la mort, bravant les interdits, soufflant sur les braises quitte à raccourcir le temps mais en le faisant briller dix fois plus. Dandy alors ? Sur les traces de Dorian Gray, nous voguons, non vers une célébration du suicide mais bien vers la révélation d’une vie encore plus dense dès lors que l’on connaît la date de péremption.

Une vie brève qui impose son carpe diem, et fera dire à Sénèque qu’une belle mort est d’une importance capitale. Bossuet confirma dans un bref essai que c’est bien peu de chose, l’homme. Raison de plus pour ne pas se prendre au sérieux et tenter de profiter de chaque instant.
Faut-il alors sombrer dans une quête effrénée de satisfactions passagères ? Eros versus Thanatos ? Quid du désir et de sa petite mort ? De Huysmans à Baudelaire en passant par la Salomé de Moreau nous en arrivons invariablement à Bowie dont le clip de The Next Day est toujours interdit au moins de dix-huit ans : une variation sur le pêché, dans un bar à filles fréquenté par le clergé, avec un Gary Oldman en prêtre débauché qu’une Marion Cotillard ensorcèle jusqu’à ce que les stigmates lui ensanglantent les mains tandis que Bowie, travesti en moins franciscain, chante sur l’estrade… on s’amuse alors, en le visionnant, à le mettre en parallèle avec Jud Law en Youg pope… car peut-on chercher à s’élever, à vivre dans la spiritualité tant que le corps s’évertue à propulser le sel des désirs en vagues déferlantes qui ébranle jusqu’à la raison ?

 


Ainsi le monde est-il condamné à courir sur des braises vers sa perte certifiée conforme à l’original : croque la pomme, encore et encore, que le plaisir t’enivre jusqu’à ce que mort s’ensuive… Amen.

François Xavier

 

Daniel Salvatore Schiffer, Traité de la mort sublime – L’art de mourir de Socrate à David Bowie, Alma éditeur, janvier 2018, 340 p. –, 20 €

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