Mascetti et Bennett ou la célébration du bijou : éclats de rêve dans un écrin.

La tiare de l’impératrice Eugénie portée trois fois seulement pour des mariages, un curieux bracelet « tutti frutti » de style Art déco de Cartier, la broche
Oiseau de paradis de Van Cleef & Arpels, une parure en diamants et péridots créée à Vienne en 1815 pour l’archiduchesse Henriette d’Autriche, un ensemble de sept ornements en diamants offert à son épouse par le futur George IV, une bague provenant de la collection de la comtesse Mona Bismarck, l’inventaire fastueux pourrait se prolonger encore. Ce trésor existe, il est réuni dans ce livre. Ce sont les cours d’Europe qui ouvrent leurs portes, les reines et les princesses qui défilent en tenue d’apparat, les dynasties les plus anciennes et les plus prestigieuses qui dévoilent leurs héritages. Mais passent aussi sur cette scène internationale les ombres des riches héritières, les courtisanes dans leurs salons, les maîtresses qu’industriels, officiers impériaux et aristocrates veulent honorer en retour. D’un coup, on fréquente la haute société qui se fête elle-même, danse, voyage, a le goût sûr que l’argent confère à celui qui en a. Hôtels particuliers, opulence des intérieurs, soirées de la Dolce Vita, dîners du Gotha dont l’étiquette exige de porter le bijou approprié, grands couturiers convoqués, de Paris à New York avec les inévitables détours par Londres, Berlin, Saint-Petersbourg, partout la féminité est saluée, célébrée, exaltée. Ce monde est celui du maharadja de Patiala, de la duchesse de Windsor, de la princesse de Grèce, de Lady Edwina, comtesse Mountbatten de Birmanie, de Consuelo Vanderbilt qui se marie à un Marlborough, de La Païva, de La Belle Otéro. Apparaît encore Daisy Fellowes, la belle et excentrique romancière, « qui avait l’œil pour ce qui marche », dont Claudel fait mention dans une lettre à sa fille et que Cecil Beaton immortalisa sur une série de superbes clichés. Leur unité de compte la plus élémentaire serait le million de dollars. Sans doute le seuil à partir duquel il est possible d’espérer posséder ces merveilles et ses entrées dans leurs demeures.

Les mots même les plus ciselés s’épuisent vite s’ils veulent rendre compte de cette incroyable rivière de bijoux magiques et éternels qui coule dans ce lourd volume aux pages glacées, livré dans un étui blanc qui devient un écrin. Il faudrait un vocabulaire serti d’or, de saphir, de perle, de tourmaline, de topaze, de cristal de roche, des mots enchâssés de platine et de turquoise, des mots-joyaux, des mots qui déclinent ces termes que l’art du lapidaire taille en vrai et avec patience à partir de la pierre brute - solitaire, rose, marquise, marguerite, baguette. Il faudrait un répertoire de vocables fulgurants comme flamboie et poudroie le répertoire des formes. Il faudrait choisir des termes aussi précieux que l’émeraude et l’émail, que le rubis et le jaspe, agencer les phrases comme les joailliers montent un pendentif en ivoire, façonnent des colliers somptueux et des bracelets étincelants. Il faudrait écrire avec autant de perfection absolue que René Lalique, Carlo Giuliano, Charles Lewis Tiffany, Marie-Etienne Nitot, le fondateur de Chaumet, Koechert, Renée Puissant, les artistes de la Maison Boucheron mettaient de perfection aboutie dans la composition de leurs chefs d’œuvre. Comment décrire ces sautoirs, ces ornements de corsage, ces diadèmes, sauf à posséder des mots jaugés au trébuchet comme l’artisan pèse les carats du diamant sur sa balance? On pense au tableau de Vermeer et à cette femme qui dans le silence pèse des perles.


Heureusement, le lecteur qui entre dans cet univers pratiquement inaccessible autrement est invité à admirer ces pièces une à une, en gros plan, se détachant sur un fond noir, presque en 3D ! Une telle présentation a l’avantage de mettre en relief les moindres facettes, les agrafes de métal rare, les cascades de pierres et les pétales d’améthyste, les poires au bout des chaînes, l’orient d’une perle, les boucles d’oreilles avec des diamants taillés à degrés, les variations d’un rameau de diamants. Fortunes sans limites mais éclat sans mesure. La créativité au cours de ces deux siècles atteint des sommets comme jamais auparavant. Les maîtres conçoivent avec un égal bonheur les motifs naturalistes de la Belle Epoque, les codes de la période Art déco, le romantisme qui, à la fin du XIX siècle, prend le pas sur le classicisme.


Ce qui s’entrouvre également, c’est le lent travail des entrailles de la terre qui produit ces minuscules morceaux de pierres aux teintes fascinantes. On voyage entre les filons aurifères de Californie, les mines de Ceylan, de Kollour et de Ramalakota, (ces noms qui évoquent Golconde), les monts de l’Oural où l’on a découvert des grenats demantoïdes, les fabuleux gisements enfouis en Afrique du Sud ou ceux qui sont perdus, loin, dans le Montana.
Sous chaque photo, les commentaires des deux auteurs dont on devine la passion, expliquent les origines, les transmissions, les secrets de ces bijoux, racontent quelques anecdotes qui sont des fragments d’histoire. La qualité des photos est étonnante. Certains angles mettent en valeur des détails qui sinon échapperaient à l’œil et offrent pour ainsi dire dans la main leur présence. Parmi ces objets - le mot convient-il vraiment - on admirera la pendule où se marient avec élégance la nacre, l’onyx et le corail, et quelques nécessaires de beauté - le mot est à lui seul un hommage et une obligation - d’un raffinement de couleurs et de volumes stupéfiant. Osons l’image, voici un bel ouvrage qui propose du rêve haut de gemme !


Dominique Vergnon


Daniela Mascetti, David Bennett, Célébration du bijou, bijoux exceptionnels des XIX et XX siècles, 250 illustrations, 33x27,5 cm, La Bibliothèque des Arts, octobre 2012, 304 pages, 85 euros

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