Dante et les ombres

Dante aura montré la délectation que peut faire un créateur des agonisants post-mortem afin d'accorder une éternité au temps. Ici, l'avantage pour un lecteur français est de pouvoir confronter sa propre lecture – à travers la traduction de William Cliff – avec le texte original. Même  qui ignore l'Italien peut tout de même trouver dans ce cousinage une confrontation parlante.

Cette traduction d'un poète de qualité et qui connaît bien Dante depuis ses années d'études est remarquable. L'auteur belge a choisi pour la réaliser d'adopter la contrainte du décasyllabe et la volonté d'éviter noms, références et notes qu'il estime inutiles et fastidieuses.

Le texte est donc dégagé de ce qui le rendrait mal identifiable chez un contemporain. Tous ceux qui sont tombés dans l'Enfer comme ceux qui stagnent en Purgatoire nous reviennent tandis qu'ils  s'enfoncent dans des lieux insondables et nocturnes.

Les repères à un espace ou un temps étant réduit à l'essentiel, L'Enfer n'est pas une caverne platonicienne où des personnages devraient tourner le regard vers la lumière et contempler l'ombre du réel. Ils doivent plutôt s'en détourner afin de regarder l'invisible qu'est le réel qu'ils ont "décréé" – ce que Dante n'a cesse de rappeler.

Quant à Cliff lui-même il devient un moine sans Dieu à l'exception de Dante qui pour Beckett était tel. Et ce à l'inverse de son Godot : Si Godot était Dieu je l'aurais appelé par son nom, avoua-t-il.

Mais reste dans cette traduction l'errance sans nom. Des cérémonies délétères retracent l'exigence d'une punition. Et l'imaginaire poétique oriente vers l'absence absolue. Les damnés appellent le silence tandis que ceux qui restent en attente guignent un "en-haut" ne les concerne pas encore.

La singularité et le prodige de cette traduction est de donner une valeur de création, une puissance de foudre à un texte surgi de l'anachorèse, de mortifications inhumaines d'ombres placées au bord de la visibilité et en un bien étrange sommeil.
 

Jean-Paul Gavard-Perret
 

Dante, L'Enfer, le Purgatoire La Divine Comédie I et 2, édition bilingue, traduction de William Cliff, coll. La Petite Vermillon, La Table Ronde, avril 2021, chaque volume 407 p.-, 8,90 €

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