David Grossman, Le livre de la grammaire intérieure : tension paroxystique

Pour lire ce livre de part en part, il convient de s’accommoder du style de David Grossman, comme c’était le cas pour Une femme fuyant l’annonce, prix Médicis étranger 2011 : il est comparable à un objectif photographique qui transformerait sans cesse le langage et l’image dans des zooms et des reculs brusques, des grossissements et des distorsions,  selon la logique personnelle du sujet, on n’ose dire héros, de cette histoire : Aharon, jeune juif polonais installé en Israël avec ses parents, qui refuse de grandir. De sa bar mitzvah jusqu’à l’âge de vingt ans, soit, sept ans si nous ne nous trompons, il est enfermé en lui-même, parce qu’il ne veut pas devenir un adulte, semblable à ses parents, gens qu’il juge opaques et sans amour. Nous sommes donc contraints d’adopter sa grammaire intérieure pour comprendre quelque chose à sa vie.

 

Et ce n’est pas de tout repos : un simple déjeuner à la maison tourne au fantastique hallucinatoire. Quand la mère verse une cuillérée de purée dans l’assiette de son mari, « la vapeur de la purée se transforme en gouttes de sueur » sur les joues et le menton de papa. Puis « Maman se camoufle dans son assiette et papa est tout rouge. » Ne parlons pas de la séquence où papa malaxe de la mie de pain : une scène d’horreur. « Aharon attend que le regard de papa se vitrifie dans la cuisse » de poulet. Quelque chose de terrifiant secoue le for intérieur du garçon. Et quand Aharon demande la salière, « un silence lourd de menaces » suit la requête. Bon, on est content de ne pas avoir été invité à ce déjeuner-là. On ignore cependant les raisons de cette tension paroxystique.

 

On s’interroge également sur les exploits d’Aharon et de Molotchinko, un garnement de ses amis, qui aurait été arrêté par la police « alors qu’il faisait main basse sur une cargaison de réverbères » (bigre, à lui tout seul ?). En effet, Aharon et lui, « à l’aide de frondes qu’ils avaient fabriquées, ils avaient appris à attraper des oiseaux qu’ils dévoraient tout crus. » Vraiment ?  Et un autre jour, « ils avaient disputé pendant des heures la dépouille d’un cerf à une meute de chacals acharnés. » Des meutes de chacals, en Israël ?

 

Aharon délire-t-il ? Et au fil des pages, un soupçon sourd et s’impose : le style n’aurait-il pas cédé la place au procédé ? Et l’on se prend à penser qu’un petit peu moins d’outrance aurait mieux servi le récit.

 

Gerald Messadié

 

David Grossman, Le livre de la grammaire intérieure, Points, octobre 2012, 504 pages, 8,10 € 

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