Rencontre avec David Khara dans sa nuit éternelle

A l'occasion de la sortie de son dernier roman, une nuit éternelle chez Fleuve noire, rencontre avec David Khara qui poursuit les aventures de ses deux héros, le flic new-yorkais Barry Donovan et son meilleur ami le vampire Werner von Lowinsky. Polar tout à fait novateur, où l'amitié prime.



Il y a dans votre personnage de vampire plus de l'immortel façon Moorckook voire Simone de Beauvoir (Tous les hommes sont mortels) que du vampire traditionnel. Une certaine langueur, voire une lassitude, est-il porteur de votre vision du monde ? 

Ce qui m’intéressait dans le personnage de Werner était moins l’immortalité que le regard qu’il pose sur notre société en venant du dix-neuvième siècle. Je confesse partager certains aspects de sa lassitude et je me retrouve en effet dans sa vision du monde. Je ne les détaillerai pas, mais nos similitudes vont bien au-delà de ce seul point.

Son côté vampirique, et c’est là qu’il porte cependant un côté très classique, me permet d’explorer et de mettre en exergue les côtés les plus bestiaux de la nature humaine pour finalement arriver au constat qu’entre le monstre et l’homme, le plus dangereux des deux n’est pas celui que l’on croit.

Les Vestiges de l’Aube, ainsi qu’une Nuit Eternelle, sont moins des polars fantastiques que des réflexions sur l’humanité, l’amitié et la place de l’espoir dans nos vies.

Ce fameux espoir est au centre de tous mes romans, un peu malgré moi, et cela s’avère d’autant plus important que j’en suis moi-même relativement dépourvu. Mais après tout, n’y a-t-il pas  une certaine beauté à donner ce que l’on a plus…

 

Il m'a semblé, modeste lecteur, que la relations des deux personnages était plus importante que l'intrigue proprement dite. Le polar est un alibi pour parler des hommes ? 

Le modeste lecteur a parfaitement saisi mes intentions ! Le polar et le fantastique sont des toiles de fond qui me permettent de développer une intrigue, mais le propos du roman se situe ailleurs. Le thème central en est la deuxième chance, la faculté que nous avons à nous amender ou pas. L’amitié, et l’amour d’ailleurs, jouent un rôle capital dans les Vestiges comme dans Une Nuit Eternelle.

Je m’insurge quelque peu contre cette croyance qui voudrait qu’un polar ou qu’un thriller ne traiterait en rien de l’humain. Mes confrères et moi-même ne traitons que de cela, et le recours à l’action n’entame en rien le fait que nos romans analysent et décortiquent la nature humaine. Intrigue et réflexion sur l’humain s’imbriquent, je l’espère pour le meilleur, afin de divertir tout en donnant à réfléchir.

 

Encore une histoire qui ne se passe pas en France... Pourquoi ce rêve américain ? 

Etrangement, il m’est très compliqué d’écrire des histoires se déroulant en France. A croire que notre pays ne nourrit pas mon imaginaire (rires) ! Le fait est que je suis tombé amoureux de Manhattan à l’âge de 16 ans, ce qui est d’autant plus bizarre que je ne suis pas adepte des grands métropoles, mais dans ce cas précis, je m’y sens chez moi et j’envisage même très sérieusement d’y finir mes jours.

J’appartiens à une génération pour laquelle le rêve américain, fantasmé à travers la pop culture du cinéma ou même de la BD, a joué une part très importante à l’adolescence. Cela dit je suis conscient des limites et des dysfonctionnements de cette nation, et je les aborde clairement dans les Vestiges de l’Aube ou Une Nuit Eternelle. Voir dans mes romans une apologie aveugle du système américain demande une certaine dose de mauvaise foi (rires) !
Disons qu’un vampire à Manhattan me fait plus rêver qu’un vampire à Guingamp, sans aucune volonté d’insulter les guingampais…

 

Votre écriture est très cinématographique, par plan séquences et avec des angles de regard assez malins (la scène de l'agression médecin légiste notamment). Comment travaillez-vous cet aspect de vos livres ?

Je revendique totalement d’écrire des films. J’utilise effectivement mes points de vue de narration comme un réalisateur utilise sa caméra et j’en joue à certains moments. La scène du médico-légal en est un exemple, mais la fin du roman n’est pas mal non plus dans le genre. Cela demande une excellente visualisation de l’action et du contexte, et forcément il y a beaucoup de travail en amont, mais je n’éprouve pas de réelle difficulté à cela. La faute, sans doute, à ma forte culture cinématographique et au fait que j’ai réalisé des films pour certains de mes clients dans ma vie précédente.

 

Pensez-vous adapter vous-mêmes vos romans au cinéma comme le font de plus en plus d'écrivain ?
Si le projets cinématographiques autour de mes romans devaient avancer, je pense que je tenterai effectivement l’expérience. Je n’aurais pas répondu cela il y a deux ou trois ans, mais le travail mené avec Alain Berberian m’a permis d’apprendre beaucoup et m’a surtout confirmé mon attirance pour le métier de scénariste. Alors, oui, je suis aujourd’hui intéressé.

Vous préparez un troisième volet ?
Il y aura bien un troisième volet aux aventures de Werner et Barry, mais je n’en dévoilerai rien, et il faudra de toute façon être patient !

Vous avez pris une place importante dans le paysage du polar français. Comment vivez-vous ce statut ?
La question m’étonne, et me flatte. Je n’ai pas la sensation d’occuper une place quelconque ou que ce soit. J’écris des romans, et j’ai la chance d’être suivi par les lecteurs, mais cela ne me confère aucun statut particulier, en tout cas dans mon esprit. J’ai la chance immense de vivre de ma passion, de rencontrer des personnes formidables, et de vivres des expériences inattendues. Là est le plus important à mes yeux. Je ne joue pas la fausse modestie, je suis sincèrement heureux de ce qui se passe, mais je n’en tire aucune gloire, rien d’autre qu’une motivation supplémentaire à continuer…

Propos recueillis par Loïc Di Stefano

Une nuit éternelle, Fleuve noir, novembre 2014
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