"Zinc", ou le destin improbable d'une micro-région neutre au coeur de l'Europe

Comme pour Cent ans de Solitude, de Gabriel Garia Marquez, on ouvre Zinc de David Van Reybrouck et on en commence la lecture en pensant s'immerger dans un conte, celui d'une région imaginaire mais dont les détails sont si plein de realias qu'ils portent une ambition testimoniale plus forte qu'un simple roman. Pourtant, au contraire de Macondo et de la famille Buendia, Emil / Joseph Rixen a bien existé, ainsi que le territoire improbable de Moresnet-Neutre également, aussi incroyable que puisse être ce minuscule confetti territorial coincé entre la Prusse (puis l'Allemagne), la Belgique et les Pays-Bas. David Van Reybrouck fait un lien très fort entre le zinc, dont l'extraction donnera sa richesse et sa spécificité diplomatique à cette région, et la vie emblématique d'Emil, les associant dans un destin incroyable, qu'on lit comme un roman absurde.

"Concasser. Pulvériser. Fondre. Marteler, tréfiler, laminer. Que l'Histoire ne fait-elle pas subir à une vie humaine ?"

Parce que son sol est riche en zinc, la micro-région triangulaire  d'à peine 3,5 km carré non loin d'Aix-La-Chapelle, va être l'objet d'une querelle entre tous ses voisins. D'abord neutre, puis pris entre les puissances adverses au fur et à mesure des conflits mondiaux, les enfants de cette région vont eux-mêmes être séparés selon l'absurdité d'une frontière qui viendra diviser la ville et répartir dans l'un ou l'autre camp des frères ou amis devenus adversaires. Moresnet-Neutre fut longtemps le centre mondial de la neutralité, zone d'espoir pour les réfugiés ainsi que capitale mondiale de l'Espéranto.  Créée arbitrairement en 1816, comme les royaumes de Prusse et des Pays-Bas ne trouvaient pas d'arrangement pour l'administration de cette zone, et rattaché définitivement à la Belgique par le Traité de Versailles, Moresnet-Neutre est le symbole de l'absurdité administrative qui nie les faits humains et s'en amuse au gré des influences militaires des puissances limitrophes.  

"Sans avoir déménagé une seule fois de sa vie, [Emil] a été successivement citoyen d'un Etat neutre, sujet de l'Empire allemand, habitant du Royaume de Belgique et citoyen du Troisième Reich. Avant de redevenir belge, ce qui sera son cinquième changement de nationalité..."

Parabole sur l'absurdité des frontières — même si nous préférons sur ce sujet les analyses de Régis Debray dans son Eloge des frontières —, Zinc est un magnifique éloge de la neutralité que fut la ville de Moresnet-Neutre (aujourd'hui Calamine, nom donné en rapport avec l'extraction du zinc), cette utopie qui fut heureuse au coeur d'une Europe en proie aux divers nationalismes. 


Loïc Di Stefano

David Van Reybrouck, Zinc, traduit du néerlandais par Philippe Noble, Actes sud, novembre 2016, 80 pages, 8,50 eur
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