Jean-Baptiste Baronian, L'Enfer d'une saison : Errances rimbaldiennes

Un roman qui tranche sur la production habituelle de Jean-Baptiste Baronian. Il se déroule en Belgique, à deux époques qu'un siècle sépare, et Arthur Rimbaud en est le héros. Des vies parallèles à la Plutarque, en quelque sorte, donnant lieu à des récits qui se croisent et finissent par se rejoindre - du moins symboliquement. On sait bien que, dans les géométries non-euclidiennes, la chose n'a rien d'impossible...

 

La tranche de vie réelle, celle de 1873, dure dix jours et débute le 18 juillet. Rimbaud est à Bruxelles. Il sort de l'hôpital, après avoir reçu de Verlaine, huit jours auparavant, deux coups de pistolet qui l'ont blessé au poignet. La vie posthume, celle de 1973, narrée par celui qui en est le héros, est symbolisée par la découverte, dans une ancienne librairie désaffectée, d'une quarantaine d'exemplaires, rarissimes, d'Une saison en enfer, dont l'édition princeps a tout juste cent ans.

 

Ainsi le récit fait-il alterner les deux époques, entraînant le lecteur successivement sur les pas de Rimbaud, puis sur ceux d'un professeur de lettres du vingtième siècle, féru de vieux bouquins et de poésie symboliste.

 

L'auteur des Illuminations, le bras gauche emmailloté dans un pansement, contraint, après "l'affaire", de se tenir à la disposition de la justice, va  donc errer dans Bruxelles et poser ses pas, guidé par un mentor des plus douteux, dans ceux de Baudelaire. Lequel a lui-même passé plus de deux ans en Belgique, vers la fin de sa vie, donnant des conférences avec un succès mitigé. C'est ainsi qu'il découvre, de la bouche de son guide qui lui voue aussi une vénération, les faits et gestes de celui qu'il tient pour un maître, la maison où il vécut, le restaurant où il prenait ses repas. Maints détails qui dessinent, comme en filigrane, le père des Fleurs du mal.

 

Plus important encore, il fait la connaissance de l'imprimeur bruxellois qui a édité à compte d'auteur Une saison en enfer et qui accepte de lui en remettre quelques exemplaires avant son retour à Charleville. Il rencontre en outre le peintre auteur de la célèbre toile qui le représente étendu sur son lit.

 

Quant à son lointain admirateur du vingtième siècle, personnage de collectionneur érudit plus vrai que nature, il écume les libraires et les bouquinistes de cette même ville, en quête de l'oiseau rare sur lequel il finira par tomber. Dans la boutique d'une descendante de l'imprimeur Jacques Poot, bouclant ainsi la boucle.

 

Sur cette intrigue ténue, Jean-Baptiste Baronian brode des variations pleines de fantaisie et, en même temps, criantes de vérité. C'est qu'il n'avance rien qui ne soit d'une rigoureuse authenticité. Les lieux, les faits, les personnages, tout correspond à la stricte réalité. Jusqu'au narrateur des séquences contemporaines qui, à n'en pas douter, emprunte à l'auteur plus d'un trait, et notamment la passion de la bibliophilie. Quant à la personnalité du jeune poète, son attitude souvent provocatrice, les paroles que l'auteur place dans sa bouche, on ne saurait douter qu'elles soient, elles aussi, conformes.

 

On doit à Baronian des biographies de Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, et même une anthologie illustrée des plus beaux poèmes de ce dernier. C'est assez dire sa familiarité avec les poètes symbolistes et avec leur époque. Son roman éclaire la période obscure, courte mais mystérieuse, qui a marqué le destin d'Arthur Rimbaud. Il en comble les vides. Il parvient à rendre le poète présent et son oeuvre plus vivante encore. Plus proche de nous, par-delà les années, que ne pourraient le faire des gloses académiques, si perspicaces soient-elles.

 

Jacques Aboucaya

 

Jean-Baptiste Baronian, L'Enfer d'une saison, De Fallois-L'Âge d'homme, janvier 2013, 180 pages, 18 €

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