Claude Durand, Le Pavillon des écrivains : Un roman gigogne

Le titre fait sans doute allusion au Pavillon des cancéreux. Référence fortuite ? Sûrement pas. Avant de devenir l'un des meilleurs éditeurs de France, au Seuil, puis chez Fayard, Claude Durand fut l'agent de Soltjenitsyne. Ce qui ne va pas sans laisser quelques traces. Du reste, ce pavillon municipal de banlieue qui accueille "en résidence", selon le jargon à la mode, cinq écrivains en herbe, constitue, à l'instar de celui du romancier russe, un microcosme où se côtoient des personnalités fort différentes. Occasion pour l'auteur d'offrir, au travers des relations qui se nouent, une vision contrastée de la société actuelle. Comme Soltjenitsyne avait brossé, en son temps, à travers la concentration des malades à l'hôpital de Tachkent, un tableau réaliste de la société de son pays sous le régime soviétique.

 

Qu'est-ce donc qui motive la présence à Villeneuve-sur-Ourcq, commune de banlieue semblable à beaucoup d'autres, de Lucas Desoubeaux, le narrateur ? Retenu, comme ses camarades, pour bénéficier de six mois d'hébergement au titre des affaires culturelles, le jeune historien a pour tâche d'écrire une monographie relative à la petite ville. En l'occurrence, la biographie de César Calvi, notable local, maire, député, ancien ministre, qui vient juste d'être assassiné. Occasion pour lui, qui a consacré sa thèse à l'extrême droite, des années 30 à la fin de la guerre d'Algérie, de remonter dans le passé de ce politicien au parcours tortueux. Et de tenter de découvrir qui l'a tué, et pourquoi.

 

L'enquête sert de fil conducteur au récit. Voire de prétexte. En réalité, elle ne suffit pas à en épuiser la substance.  Car au-delà de l'énigme policière et des tentatives d'élucidation auxquelles se livre l'historien mué en détective amateur, c'est un univers foisonnant qui se révèle au lecteur. Un monde parcouru en tous sens, avec des retours en arrière, des digressions, des considérations actuelles et inactuelles. Une vision, qui peut être caustique, qui l'est, du reste, le plus souvent, de notre société, son évolution, son état de déréliction, la médiocrité de son personnel politique. Par endroits, une fureur que vient tempérer (ou exacerber, c'est selon) un humour n'excluant pas une forme d'autodérision.

 

Cette façon de baguenauder au gré d'une fantaisie qui ne s'interdit aucun détour, cette nonchalance qui semble se désintéresser de l'intrigue, s'abandonner à ses méandres pour mieux la retrouver au prochain tournant, en un mot, cette désinvolture apparente recouvre, en réalité, une technique romanesque éprouvée. Claude Durand procède par emboîtements successifs. Le récit de son jeune narrateur ressemble à ces poupées russes dont l'ouverture permet le dévoilement de la suivante.

 

Ainsi la part d'autobiographie révèle-t-elle les vicissitudes d'une saga familiale, laquelle s'explique en partie par l'histoire nationale dans laquelle elle s'inscrit. De même la trajectoire publique de Calvi, qui le conduit de la gauche à une droite plutôt dure, en passant par le marais (le marigot ?) du centre. A l'instar de tous les réprouvés de la dernière Guerre, les Doriot, les Déat, dont l'itinéraire est retracé avec un souci de réalisme et, surtout, une honnêteté louable, nous épargnant les haut-le-coeur habituels en semblable occurrence. Jusqu'aux fruits actuels, quelque peu amers, d'une évolution dont il serait difficile d'affirmer qu'elle va dans le sens d'un affinement des moeurs.

 

Une richesse de laquelle nous avaient déshabitués les romanciers anorexiques qui tiennent, à l'heure actuelle, le haut du pavé. C'est assez dire que Le Pavillon des écrivains constitue une des bonnes surprises, voire la bonne surprise, de ces derniers mois. Il atteste de la pérennité du vrai roman, charnu et goûteux. S'il fallait donner de celui-ci une définition, on l'emprunterait à un des personnages pour qui "le livre embrasse [un] enchevêtrement de connexions qui tend de plus en plus à coïncider avec le monde entier, toute l'envergure de la planète et toute l'histoire de l'humanité." Comme l'auteur a le sens de la mesure, il s'empresse d'ajouter cette réserve : "Sauf que c'est bien entendu au-dessus des forces du romancier, même s'il a pris Dieu pour pseudonyme..." Certes. Mais enfin, la preuve est ici donnée, et brillamment, qu'il n'est pas nécessaire de réussir pour entreprendre...

 

Jacques Aboucaya

 

Claude Durand, Le Pavillon des écrivains, de Fallois, août 2013, 330 p., 20€

Aucun commentaire pour ce contenu.