Interview. Corbeyran, scénariste dans la Grande Guerre

A l'occasion de la publication du deuxième tome de la série 14-18, et dans les salons Delcourt du Festival international de la bande-dessinée d'Angoulême, rencontre avec le scénariste Corbeyran.

 

Quand il fait un album sur la guerre de 14, Jacques Tardi interroge toujours Jean-Pierre Verny, l'historien spécialisé, pour vérifier les détails historiques, les tenues, les équipements. Comment avez-vous travaillé ?

La documentation à notre disposition est très importante, car la période n'est pas si lointaine, tout a été répertorié et rigoureusement décrit. J'ai travaillé en amont sur de la documentation historique pour bien connaître l'articulation des événements sur toute la période. Pour le reste, la doc technique et visuelle, mais c'est surtout l'affaire du dessinateur. Quand je décris un soldat je ne m'appesantis pas sur la description de son uniforme (sauf par exemple en 1915 quand les pantalons passe du garance au bleu-horizon parce que ça a une incidence sur le récit). Je fais confiance au dessinateur pour dessiner des fusils qui collent à l'époque, chacun dans son registre. Je m’intéresse davantage aux événements.

 

Comment s'est passée la collaboration avec les dessinateurs ?
J'avais déjà fait un album avec Etienne Le Roux, là j'ai affaire à un duo de dessinateur, Etienne réalisant les personnages et Loïc Chevallier se chargeant des décors. Il y a un crayonné qui est une esquisse générale de la page et chacun ensuite pose ses éléments. Mon scénario est construit de la manière suivante : je décris chaque case. Je fais une proposition de cadrage, de valeur de plans, et à partir de cette base le dessinateur fais la mise en scène qu'il a dans la tête. Je ne suis pas interventionniste mais je suis assez précis, page par page et case par case, tout a une valeur narrative en bande dessinée. C'est au scénariste d'impulser la narration mais cela reste une suggestion.

 

Votre histoire est la traversée de la Grande Guerre par un groupe d'amis. C'est votre transposition de Band of brothers ?

Avec Guy Delcourt, notre éditeur, nous sommes très fans de série télé et on avait en effet cette série en tête quand on a créé 14 18. Ça nous a paru un moyen intéressant de pouvoir faire des albums auto-conclusifs (avec une chute à chaque fin d'album) tout en ayant un arc narratif qui va s'étaler tout au long de la série. Quand on discute d'un projet BD on va d'abord dans notre DVDthèque imaginaire et on travail de cette manière, très pool de scénario, collaboratif. On tenait aussi à conserver un relationnel fort entre les personnages et les lecteurs, c'est pour ça que le récit s'installe avec cette bande d'amis, dont chaque personnage va évoluer à sa façon. Lorsque nous avons initié ce projet, avec l'éditeur, on a trouvé intéressant de suivre les événements à 100 ans de décalage, les albums sur 1914 sont parus en 2014, ceux sur 1915 en 2015, etc.

 

Le 1er album est sorti pour les commémorations. Qu'apporte de différent votre point de vue sur 14-18 ?

Je suis loin d'avoir tout lu sur le sujet et je ne sais pas trop comment me positionner. Ce qui m'intéressait c'était la longueur du conflit, et comment cette guerre a réussi à changer chacun des personnages. La guerre a-t-elle changé le monde, oui sans doute, mais en terme d'individus c'est plus important pour moi. 5 ans de conflits étalés sur 10 albums... aucun des personnages ne sera à la fin comme il a été au début ! On démarre sur le tome 1 avec les gueules cassées : on montre ans le prologue le résultat et au cours de la série on va découvrir comment le personnage est devenu une gueule cassée, il a changé, et on va vous raconter comment.

Le point de vue qui m'intéressait est celui du soldat, perdu dans la tourmente, qui ne fait que subir les ordres. Je voulais montrer cette confusion, et comment chacun réagissait à sa manière (en obéissant, en râlant, etc.).

 

Vos personnages vont traverser la guerre comme des millions d'autres ou vont-ils voir les grands événements ?

L'idée est de lier leur présence aux grands événements qui ont jalonnés la guerre. J'ai choisi a chaque fois, par année, deux dates qui me paraissaient importante, et les personnages vont avoir un regard dessus. Ce n'est pas un traité de guerre, mais il faut s'accrocher aux événements. C'est pareil pour les gens qui restent à l'arrière, les femmes, les amis, les mères. Les hommes laissent des parents, des femmes, des bébés dans les ventres, c'est l'autre front mais avec la même nécessité narrative : le groupe très soudé du départ est complet, chacun va changer, même à l'arrière.

 

Les autres volumes sont achevés ?

J'en ai écris 6 mais je sais où je vais, j'ai le canevas général de la série en tête. 4 albums sont déjà dessinés. 10 albums c'est un très gros boulot, près de 8 h par jour pendant des mois...

 

Comme vous avez tout écris, que vous apportent les dessinateurs ? Pourquoi scénariste et pas romancier ?

Une BD, c'est comme un film, les dessinateurs sont des metteurs en scène, ils font de la direction d'acteurs, créent les décors, gèrent les lumière. Ma passion ce n'est pas l'écriture, c'est la narration. Je ne suis pas écrivain, je suis scénariste, il faut juste savoir penser, rythmer et dialoguer. J'ai un talent de séquenceur. Le vrai talent du scénariste est de savoir organiser les événements, savoir rendre une histoire intéressante par sa dynamique. Mais ce que je décris dans une case c'est juste de l'information pour le dessinateur, ça n'a aucune valeur littéraire. Mon truc c'est la bédé, ça a été mon premier métier et ça le restera. J'essaie de fournir aux lecteurs ce que je sais faire de mieux.

 

4 albums à finir, et 8 à superviser. Et après, 39-45, le Vietnam ?

(rires) Pourquoi pas ? Il faut quand même savoir que je suis objecteur de conscience, j'ai fait mon service civil. La guerre n'est pas un sujet que j'aurai abordé de mon propre fait, ni de gaieté de cœur. Mais Guy Delcourt a trouvé les arguments pour me convaincre de m'engager dans cette aventure. Et comme je suis curieux de nature, et que le volume du projet m'intéressait, je me suis laissé tenter. La guerre en tant que telle, je pense que je n'y aurais pas mis les pieds. Je suis un peu à contre emploi, 80 % de ma production est fantastique, et là on se retrouve dans un sujet pleinement historique. Mais Guy a cru en moi et je suis très heureux qu'il ait fait appel à moi.


Propos recueillis par Loïc Di Stefano


Corbeyran (scénario), Etienne Le Roux  (dessin) et Jérôme Brizard (couleurs), 14-18, tome 2 / 10, novembre 2014, 48 pages, 14,50 eur

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