Re-père et parfums : Catherine Weinzaepflen

Sous forme de fragments temporels, Catherine Weinzaepflen, propose un livre subtil de mémoire. Le père devient l’obligé d’une initiation par procuration au bout d’un enfer plus ou moins "partagé". Car s'il existe beaucoup d'amour, l'auteure n'esquive pas les zones d'ombres à mesure que des temps remontent et que les parfums du père servent de madeleines proustiennes. La lotion après rasage Gillette Bleu, celle du Pantène contre la chute des cheveux, le savon Camay rose permettent de faire vibrer les cordes sensibles d'une mémoire affective – mais pas que.

Par séquences l'auteure "filme" son passé et le commente. Certains épisodes restent sans concession. Lorsque par exemple elle est assignée à résidence par  ce père qui l'a surprise avec un garçon. S'en suit une maltraitance : Celui-là  fait vérifier la virginité de sa fille par un gynécologue : la consultation médicale m'absout mais je vous hais désormais (lui et sa nouvelle femme) écrit l'auteure et ce avant qu'avec le temps tout parvienne à s'apaiser eu égard à la "dégradation" du père.
L'ordinaire d'une violence certaine est là en une suite de situations reprises et commentées dans le désordre d'une relecture de l'existence. Le présent revient éclairer les scènes et retrouver la communauté de ceux qui ne sauraient vivre sans leur passé. Au jeu des questions jamais effacées  répondent quelques tentatives d'éclairage. Bref, la distorsion du temps revivifie la mémoire qui s'y accroche différemment. C'est revivre au quotidien le passé avec une autre incidence. Et c’est comme si l'auteure rejouait de petites scènes et transcrivait en condensé des sensations physiques.
Si bien que l’éclaircissement procuré par le récit est de ceux dont seuls les poètes ont le secret. Et Catherine Weinzaepflen en est une. Elle fouille au cœur des ténèbres sans pour autant monter son histoire comme un modèle. Une explosion mesurée et continuelle de la vie surgit des bas-fonds. Mais sans lyrisme. Le lyrisme est trop calme, trop musical au sens traditionnel – mélodique – du terme.  Reste une marqueterie à la Ligeti.

Celle qui partage la pensée de Virginia Woolf : En tant que femme je n’ai pas de pays. En tant que femme je ne veux d’aucun pays. En tant que femme le monde entier est mon pays., prouve que ce qui lui arriva chaque jour et voulait la fixer à un ordre, lui donna des sentiments écorchés. Elle se sentait  impuissante par rapport à un père jusqu'à se demander "à quoi ça sert" – sans vraiment trouver de réponses – jusqu'à un "à quoi bon" final qui semble clore le livre mais qui n'efface en rien ce qu'il exprime.

Face aux diverses situations du passé, l'auteure se rapproche mais avec ses propres armes d'une Sylvia Plath ou d'une Francesca Woodman. Elle crée le répertoire non chronologique de ce face à face. Reste qu'il y a fort à parier qu'une telle perte du père rend malgré tout inconsolable. Mais reprendre ce duo et/ou ce duel par l'écriture évite un supplice sans recours. L'auteure y répond de la manière la plus radicale sans qu’à la fin se produise un nouveau départ mais sans pour autant le risque d'unsaut dans le vide.


Jean-Paul Gavard-Perret


Catherine Weinzaepflen, L'Odeur d'un père, Des Femmes - Antoinette Fouque, janvier 2020, 94 p.-, 12 euros

 

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