Les peintres, acteurs de l’histoire

Et si certains peintres étaient les vrais acteurs de l’histoire ? Leur talent est une manière de raconter les faits qui ont façonné durant une longue époque le quotidien de tout un peuple. En ce sens que, proche de la réalité ou éloignée par un goût marqué pour l’imagination, ils ont ancré dans la mémoire collective une vision difficile une fois vue, à oublier. Comme si, à la place des armes, témoins des batailles, des glorifications royales, des élans pour la patrie, des entrées solennelles, des morts et assassinats en public et des redditions honorables et des moments plus intimes, ils avaient usé de leurs pinceaux pour signer l’authenticité de l’événement.

Il est acquis, à voir telle qu’il la représente la fougue des combats à Taillebourg, le 21 juillet 1242, que Delacroix est bien là, à peine en retrait de la charge épique menée par un Saint Louis ardent à récupérer les terres usurpées par les Anglais. Un tableau magnifique, audacieux, exécuté en 1838, qui enflamme ce désir de la monarchie de Juillet de restaurer la lignée des hauts faits par un programme iconographique pour la Galerie des batailles à Versailles. Autre style, autre époque, mais égale volonté de sacraliser l’instant.
Vingt ans avant l’approche quelque peu romantique de Delacroix, plus sage dans la dynamique des mouvements, François Gérard, le portraitiste plutôt classique, assiste à l’entrée d’Henri IV dans Paris, le 22 mars 1594. Fière monture, foule séduite, étendards levés, cette toile accompagne le retour de Louis XVIII au pouvoir.

Epopée unique, singulière, incroyable, aussi brève qu’illustre, qui détrôna Geneviève estime l’auteur, qui en tous cas intéressa et inspira de nombreux peintres aux palettes bien diverses, que celle de Jeanne d’Arc ! Paul Leroy signe La Sainte de la frontière et place l’héroïne à côté des fantassins et des cavaliers de la Marne, lors de la Grande Guerre, tandis que Jean-Auguste Dominique Ingres, en 1837 également, la met au cœur du sacre de Charles VII, en armure et en prière, femme et soldat à la fois, une huile parfaite et pourtant assez froide.
Pour sa part, l’illustrateur britannique Franck Craig, se souvenant sans doute de la célèbre peinture exécutée vers 1456 par Paolo Uccello sur trois panneaux dispersés aujourd’hui dans trois musées, reprend les jeux des lances rouges, des flèches et de l’assaut des chevaux sur l’ennemi et brosse avec élan La Pucelle montée sur un superbe destrier blanc, elle-même vêtue de blanc, à l’avant de ses troupes et les dominant par autant de panache que de hardiesse.

Ainsi défilent quelques siècles, de Clovis sous les couleurs pensées par Gros et Vercingétorix sous celles apprêtées par Henri Paul Motte jusqu’à François 1er apparaissant en roi attentif aux ruines romaines de Nîmes grâce à l’observation d’Alexandre Colin, un tableau de 1836.

Historien et biographe reconnu, déjà auteur de nombreux livres d’histoire salués par la critique, Didier Le Fur invite le lecteur à revisiter en images ces grands moments fondateurs de notre passé. Il explique comment et pourquoi, ce regard au demeurant nostalgique, prit au XIXe siècle un tour significatif. Un genre et une perspective qui s’épanouirent davantage sous la Restauration, note-t-il. Ces œuvres qui ornent encore beaucoup de nos musées étaient présentées d’abord dans ces fameux Salons académiques, centres et moteurs de la vie artistique nationale.
Des tableaux dont beaucoup sont peu connus et intéressants à découvrir, qu’il est bon de revoir, d’admirer pour la qualité des compositions, pour le message qu’ils ont transmis et ne manquent pas de transmettre encore de nos jours parfois trop oublieux de l’histoire.

Dominique Vergnon

Didier Le Fur, Peindre l’histoire, 58 illustrations, 220 x 280, éditions Passés composés, novembre 2019, 176 p.-, 29 €

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