Don DeLillo signe le livre du non-retour avec Point Oméga

Un peu perdu au bord de l’immensité de pierres et de sable, dans sa maison délabrée, Richard Elster, brillant conseiller de l’ombre et universitaire mondialement connu, reçoit, presque forcé, la visite d’un jeune étudiant cinéaste, Jim Finley, qui le poursuit depuis des mois pour réaliser un documentaire sur lui. Un film en temps réel, sans montage, sans décor, un mur nu pour toile de fond, la caméra sur pied, et la discussion comme fil rouge. Un prétexte ?
Il faut dire
qu’Elster a collaboré avec les grands pontes du Pentagone pendant la guerre
d’Irak. Et il n’est pas dupe sur les intentions du jeune Finley, mais il se
laisse approcher, amadouer, filmer. Désœuvré, enclin à la rêverie, Elster
laisse filer les jours, et parfois quelques confidences au gré de ses
humeurs... Les conversations s’éternisent dans la nuit minérale et l’alcool
aide à briser les dernières résistances du vieil homme.
Arrive Jessie, la fille d’Elster : d’abord mouche dans le verre de lait,
elle finit par imposer tout doucement sa présence et son allure nonchalante et
son absence de pudeur ouvrirait presque la voie à Jim pour une romance mais il
ne se laisse pas distraire. Quelques jours plus tard, Jessie disparaît.

La force dramatique du livre s’impose par cette perspective qui les voit
franchir un point de non-retour, invisible et différent pour chacun, mais
fatal. Plus qu’un roman d’analyse, c’est une photographie romancée de notre
civilisation qui part à vau-l’eau qui nous est ici dépeinte avec maestria.
Alors que les incendies ravagent tous les aspects de notre condition humaine,
Don DeLillo parvient à nommer l’indicible et à remettre au centre de nos
préoccupations l’essentiel fait homme : l’amour de son prochain.
François Xavier
Don DeLillo, Point Oméga, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marianne Véron, Babel, octobre 2013, 144 p. - 6,70 €
Initialement paru dans la collection "Lettres anglo-saxonnes", Actes Sud, septembre 2010, 140 p. - 14,50 €
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