Attaquer le soleil, le livre

Le catalogue de l’exposition réalisé par la commissaire Annie Lebrun est plus qu'un catalogue d'expo, c'est un fabuleux ouvrage qui révèle sans doute mieux l’intention de l’événement que l’exposition elle-même, à savoir démontrer l’influence de Sade sur l’art plastique. Ce livre majeur restera sans aucun doute un ouvrage de référence pour qui souhaite se plonger dans les méandres de l’âme humaine et explorer la façon, depuis Sade, dont les artistes ont osé représenter les corps en proie à l’Eros noir.
Sade instigateur de la représentation de la perversité sexuelle, sans doute, mais il ne faut pas confondre : ce n’est pas lui qui a fabriqué la cruauté, l’imaginaire tortionnaire ni l’outrance mortifère des pulsions sexuelles, celles-ci existent depuis l’aube de l’humanité et ce que nous décrétons inhumain est au contraire terriblement humain, la torture aussi affreuse soit-elle n’est pas bestiale, les animaux tuent pour manger ou défendre un territoire, ils ne torturent pas pour le plaisir, alors que la torture et la férocité comme promesses de plaisir sont toujours sophistiquées, mijotées par un esprit bien humain, et Sade fut certainement le premier à les avoir écrites, décrites au grand dam de ses semblables qui le jugèrent dégénéré.

Sade affirme ni plus ni moins que les forces du mal sont identiques aux calamités naturelles, aux tempêtes, aux éruptions volcaniques, aux tremblements de terre ; des dérèglements, certes affreux mais qui font partie de la nature.
L’innommable nommé par Sade, les plasticiens pouvaient-ils désormais montrer l’immontrable ? Annie Lebrun questionne la révolution de la représentation imagée des corps soumis à tous les excès à partir du moment où Sade les a mis en texte, peu importe que les artistes l’aient lu ou pas, précise-t-elle, consciemment ou inconsciemment, dans l’imaginaire collectif Sade aura travaillé le XIXe siècle.
Les surréalistes se sont approchés au plus près de l’infini désir sadien, sans considération philosophique ils ont travaillé la faim de sexe et les corps parfois jusqu’à l’abstraction de la chair, les corps découpés, désaxés jusqu’à la décorporation, apportant au courant sadien un forme finalement poétique inexistante chez Sade mais ils ont poursuivi l'idée du désir moteur.
La femme tourmentée par quête de plaisir hante l’ouvrage comme l’expo, la représentation de l’impensable fascine. Si des artistes se sont exercés bien sûr avant Sade à peindre la cruauté guerrière et religieuse, force est de constater que la description picturale des sévices souvent criminels engendrés par le désir érotique se nourrit de l’œuvre de Sade.
Annie Lebrun propose le tableau de Degas Scène de guerre comme symbole de son exposition, une chasse aux femmes dont certaines sont achevées à l’arc, un tableau qui épouvante le frère de Degas : Ce qui fermente dans cette tête est effrayant.

Nul besoin d’être allé voir l’exposition pour apprécier ce livre et même ceux qui ont été dubitatifs ou carrément hostiles à l’événement devraient être captivés par ces 320 pages de tableaux, de citations, d’extraits d’œuvres littéraires et par le texte d’Annie Lebrun. Si l’exposition dite sulfureuse peut choquer de bonnes âmes, Attaquer le soleil est un beau livre d’art qui s’inscrit avant tout dans le paysage culturel français, à mon sens indispensable pour comprendre la représentation de la violence du désir, à ne pas censurer aux adolescents, les médias leur livrent quotidiennement de bien pires images qui ne relèvent en rien de l’art.
C’est en tous cas une très belle idée de cadeau pour les fêtes.
Anne Bert
Crédits images :
L'exécution, Anonyme, détail - non daté, Madrid
Scène de guerre au Moyen Age, Degas
Annie Lebrun, SADE, Attaquer le soleil, éditions Musée d’Orsay-Gallimard, Novembre 2014- 332 pages, 45 euros
Aller plus loin avec l'émission sur France Inter, L'heure des rêveurs, l'écoute de l'entretien avec Annie Lebrun est disponible jusqu'en juillet 2017.
1 commentaire
Je pense que Mr onfray ne comprend rien à la littérature comme il ne comprend rien au catholicisme. Imaginons une personne allant se confesser à un prêtre ou à un psychanalyste pour se libérer d'un fardeau; si ceux-ci le stoppent net en lui disant d'un ton sec : "mais monsieur vous êtes un méchant, un salaud d'avoir commis telle action, d'avoir eu telle pensée" alors cette personne n'y reviendrait jamais, elle garderait tout en elle et sa vie deviendrait un véritable enfer, sans possibilité de libération. Il me semble que Onfray désire secrètement supprimer les espaces privés, les espaces de liberté que sont la littérature (seul devant une feuille blanche), le confessionnal ou le divan (seul devant un être temporairement pur de tout jugement) où l'être humain confie son mal en toute sincérité. Son seul espace à Mr Onfray c'est l'espace public : la salle de conférence, l'espace médiatique, le tribunal. On m'objectera que lui aussi écrit et que lui aussi se retrouve seul devant une feuille blanche mais est-il si seul puisqu'il ne se dépeint toujours qu'en homme de bien. N'a-t-il pas en pensée son public devant lui, un public idéal qu'il ne peut froisser ? Gageons que son désir le plus profond est d'être applaudi par la postérité.