Donatien Alphonse François, marquis de Sade (1740-1814), philosophe, écrivain libertin et débauché, emprisonné à de nombreuses reprises. Biographie du Marquis de Sade.

Relire Sade

L’écriture romanesque des trois textes majeurs de Sade republiés par La Pléiade se règle de manière obsessionnelle afin de polluer le dialogue philosophique par des procédés théâtraux. Ils conduisent à une réflexion majeure. À ce titre, lorsqu’il présente ce qu’il nomme une séance, – savoir une scène de débauche, l’auteur veille toujours à ce qu’un ordre scrupuleusement précis et respecté s’instaure afin de "détruire" par la bande l'ordre établi : L’autel est préparé, la victime s’y place, le sacrificateur la suit, écrit-il avant d’ajouter plus loin que le tableau s’arrange et encore : Mettons un peu d’ordre dans les procédés.
Sade associe toujours une parole à un corps : et si ce n’est à une individualité propre tout au moins la joint-il à une existence à laquelle il est en demeure de donner une posture. Un tel langage – celui des personnages comme celui des narrateurs – est un langage "parlé", une expression proche de l’oral et non le récit porté vers un destinataire incertain mais bien  celui conçu sous le sceau de la confidence. Sade ne réduit jamais l’écriture au récit pur. Si des espaces lui sont impartis, on ne parle que si l’on a quelqu’un à qui s’adresser pour lui délivrer une leçon anti-morale, anti-sociale.
Le langage se construit dès lors comme reflet de la société et des deux grandes postures d’être que Sade choisit de distinguer (victimes et bourreaux)  et contribue par là à une mise en scène clairement codée du monde tel qu'il est mais qu'il condamne. Dès lors, lire Sade c’est être bousculé dans ses convictions, bousculé par des propos abruptes d’une amoralité difficilement soutenable  (plus particulièrement dans Les cents vingt journées de Sodome ou l’école du libertinage  et être horrifié par une vision d’un noir absolu de l’homme. Mais c’est aussi, découvrir une aptitude au roman sadien à déranger les autres genres, à les parodier parce qu'ils représentent eux-mêmes les codes propres que le pouvoir accepte, tolère ou se sert.
La Philosophie dans le boudoir  se moque du conte philosophique à la mode à l’époque des Lumières. Sa Justine est la naïveté et l’innocence personnalisée. Sa vertu la conduit de déconvenues en malheurs face à des individus peu scrupuleux avides autant de son corps que de la convertir à leur philosophie prônant le vice et le crime.  Dans Justine,  si l’héroïne semble posséder les attributs du picaro, elle ne tire aucune leçon de ses mésaventures et demeure d’une naïveté affligeante, désespérante.
De même, plonger dans Les Malheurs de la vertu c’est aussi se plonger dans un autre genre : le récit de voyage raté. L’héroïne ne progresse jamais. Par ces distorsions le Marquis interpelle son lecteur, l’introduit dans les coulisse du spectacle non seulement des genres mais aussi du vice donc du monde. Le lecteur peut voir sans être vu au cœur d’une perception accrue des corps en mouvement afin d’en recevoir plus directement leurs sensations les plus profondes.

Jean-Paul Gavard-Perret

Sade, Justine et autres romans, éditions établies par Michel Delon et Jean Deprun, coll. La Pléiade, Gallimard, 2016, 1152 p.-, 68€

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