Les calligrammes d’Adonis

Pour conserver le souvenir de l’exposition qui s’est tenue à la Galerie Azzedine Alaïa (24 mars-10 mai 2015), ce livre, qui est bien plus qu’un catalogue car il ne présente pas seulement les quatre-vingts œuvres du poète syrien, mais nous offre la genèse de l’histoire. Toute débuta, en effet, lors d’un dîner chez le styliste, une conversation à bâtons rompus et l’idée fit son chemin…

 

En près de vingt années de création, Adonis s’adonna au collage, au dessin, des œuvres hybrides composées de tout et de rien : le poète, d’un coup de baguette magique, donne à voir des fragments d’objets délaissés sous le prisme nouveau de l’art saisi. Écriture en sédimentation d’objets pour aller vers la beauté, jeu d’encre dans l’écriture, pointes de couleurs : œuvre d’art à part entière que ces objets qui s’amusent à brouiller les repères.

Le poète marche souvent en crabe, jouant de la métaphore dans son écriture. Ici, en plasticien, il s’adonne à la métamorphose dans des tentatives de sublimation dans la pratique d’une spécialité qui n’est pas sienne, de prime abord. Mais qu’avons-nous à coller des étiquettes ? Un artiste est un artiste, qu’il s’exprime par les mots, la peinture, la sculpture, etc. il conserve son âme et sa technique qu’il adapte selon le medium.

 



Adonis, en spéléologue, creuse le sillon de l’Histoire, agençant ses mots calligraphiés dans la musique du poème sur l’étendue du support dans un jeu avec la matière qui va composer le tableau. La feuille n’est plus le support matériel et contingent d’une représentation ou d’une notation : elle est l’espace où toute frontière s’estompe et où la blancheur de la page devient une force active d’effacement des limites et des contours des choses, confirme Emmanuele Coccia.
Voilà des calligrammes arrachés du fond des âges, extirpés du monde islamique pour être façonnés à la sauce occidentale démontrant la possible fusion entre les cultures sans l’usage de la moindre arme à feu. Les lettres sont déjà des images en terre d’islam, les mots qui en découlent portent donc en eux une forte présence physique, l’évocation est alors au bord du cadre…

 

Ces encres et ces collages, profondément décalés d’un classicisme qui serait ici inopportun tant l’on connaît l’engagement politique d’Adonis – en dehors de son œuvre poétique –, nous montrent une facette nouvelle d’un immense artiste (prochain prix Nobel ?). Une leçon d’universalité qui arrive à point nommé dans un monde en ébullition à cause d’une impossibilité à nommer correctement les choses. Alors, à défaut d’oser ouvrir la bouche, ouvrons les yeux et contemplons ces merveilles…

 

François Xavier

 

Donatien Grau (sous la direction de), A. L’œuvre graphique d’Adonis, 170 x 240, couverture cartonnée, 80 illustrations couleur, Actes Sud/Association Azzedine Alaïa, avril 2015, 128 p.-, 29,00 €

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