La controverse des préraphaélites 1/4

Si les préraphaélites ont su marquer leur époque, c’est en grande partie dû à la spécificité des valeurs qu’ils véhiculaient : afficher ouvertement l’archaïsme comme un canon était tout simplement révolutionnaire ! En effet, quelle pique au conformisme ambiant que d’oser puiser son inspiration dans la liqueur picturale des primitifs italiens du Quattrocento, si loin du joug artistique érigé par la Royal Academy et du chantre de la modernité industrielle.


Éreinté par la critique de l'ère victorienne ; victime de sa cloche de verre hermétique à tous changements, le théoricien Ruskin est le premier à voir dans ce groupe de jeunes peintres, des esthètes soufflant le vent du grand large, tout en puisant leurs sources dans la sève mythique et la geste arthurienne. Les ténors du mouvement ; Millais, Hunt et Rossetti qui formèrent le groupe des préraphaélites en 1848, incarnent une attitude de réaction face au corset qui étrangle le monde de l'art anglais de cette seconde moitié du XIXe siècle.


En cela, l'étreinte de la question est évidente : comment devons-nous envisager l'art des préraphaélites ? Construit-il un pont entre les deux rives, peinture et littérature ? Ou bien les sépare-t-il à tout jamais ? Doit-on l’appréhender selon une approche sémiotique, à l’instar d'un Deleuze parti à la conquête du déchiffrement du livre intérieur ? Ou devons-nous plutôt investir l'élégance, à la manière d'une Christiane Desroches Noblecourt en érudite égyptologue ? Dans cette logique, le parcours du prophète-traducteur reposerait sur un encodage / décodage de signes placés en filigrane de l'opus. « Sommes-nous [alors] obligés d’accepter les idées du poète, le tableau du peintre, la statue du sculpteur ? » Sujétion décriée par la duchesse Massimila Doni, de la nouvelle éponyme de Balzac, car [selon elle, ces] « arts cerclent nos pensées sur une chose déterminée ».


Ou bien, devons-nous lever le voile de la critique pour épouser sans retenue l'expansion du champ visuel qui fait appel aux autres stimuli sensoriels, dont ceux du souffle incandescent de l'émotion et de l'imaginaire ? Burne-Jones brave toutes les définitions figées en transposant son art comme un « beau rêve romantique (…) [que] nul ne peut définir ni se rappeler, mais seulement désirer ». En effet, n'est-il pas question d'entrapercevoir à la dérobée cette porte intime et mystérieuse qui nous mène à l'embrasure d'un art flamboyant qui défie le diktat du goût dominant ? L'on retrouve céans dans les peintures d'un Burne-Jones ou d'un Whistler, toute la magie de la créativité qui existe uniquement dans le vouloir de l'idée et de l'imaginaire.


A côté de ces ingrédients, qui ne sont pas toujours digérés par un public assoiffé de repères, la question du sens traverse le ciel de la pensée de ces peintures dites « narratives » dès le début du mouvement. Leurs correspondances poétiques, issues des mythes et des personnages littéraires, sont mise en exergue à travers la citation du maître de la nouvelle, Henry James. Allocution inaugurale, qu'il prononce à l'occasion de l'ouverture de la Grosvenor Gallery, en 1877. La guilde préraphaélite s'inspire autant des poèmes de Keats ou de Tennyson que de la matière de Bretagne. Mais la conception élitiste qui sous-entend que seuls les initiés peuvent comprendre les tableaux, assombrit la portée universelle de l'art.


Cependant, l'auguste ambition des peintres semble déjouer les sommités de la Royal Academy.

Ne doit-on pas y voir les premières limites de cette peinture qui serait peut-être un art mimétique entretenant un rapport second, dégradé avec son objet ? Devons-nous remettre en cause l'autonomie de l'art dans cette démarche transversale et multidisciplinaire pourtant féconde ? L'objet de notre étude tentera d'élucider ces divers foyers de convergences – où se mêlent littérature et art pictural – et d'opinions, pour saisir toute l'acuité de ce mouvement éphémère qui provoqua des remous considérables en apposant son sceau dans la culture visuelle d'aujourd'hui.


La « religion de la beauté » serait alors le credo qui fédère les hommes… avec la limite du bon goût et de la norme qui est propre à chaque individu, permettant ainsi au curseur de se promener à loisir sur la grille d’évaluation. Plus tard, dans une perspective anachronique, Valéry parlera « d'intransitivité », c’est-à-dire un art sans référence extérieure car interpréter c'est réduire.


Dans notre premier mouvement, nous verrons comment les peintres préraphaélites partent à la recherche du temps revisité entre réminiscences du passé, antique et médiéval, – dans lequel ils ré-explorent la pureté antérieure à Raphaël – et ses prolongements dans l' « Aesthetic movement » ; précurseur d'une modernité franco-anglaise que nous découvrirons dès la deuxième partie à travers les « peintures sans sujet ». Après avoir évoqué les préceptes de « l’art pour l’art » que l’on retrouve chez Burne-Jones ou Whistler renouvelant le rapport à l’image, nous finirons notre étude en soulignant les prémices de l’avènement inaugural de la femme libérée du corset victorien au sens propre et figuré du terme. Bien qu’elle soit persiflée par Octave Mirbeau, elle n’en reste pas moins l’une des actrices de ce changement fin de siècle qui annonce le décadentisme.


Virginie Trézières


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