P.O.L : l’avant-garde littéraire par l’éclectisme et le plaisir de lire avant tout !

L'homme - Né le 10 octobre 1944 d’une mère française et d’un père peintre originaire de Russie, décédé quelques mois après sa naissance, Paul Otchakovsky-Laurens grandit dans la Sarthe. Étudiant en licence de droit en 1968 pour devenir avocat, il laisse tout tomber pour faire un stage de deux mois, non rémunéré, chez Christian Bourgois (directeur de Julliard qui venait de créer sa propre maison). À vingt-cinq ans, il entre dans l’édition et n’en ressortira plus.


« L’originalité d’un livre peut se cacher sous les apparences d’un défaut :

ce qui gêne la lecture, ce qui est râpeux

ou déséquilibré. »

Télérama, mai 2012


L'entité P.O.L - Elle existe depuis 1977, d’abord en tant que collection chez Hachette, puis en tant que maison d’édition créée par Paul Otchakovsky-Laurens. Les éditions P.O.L sont établies 33, rue Saint-André-des-Arts, dans le sixième arrondissement de Paris, traditionnellement associé au monde de l'édition parisienne.


Domiciliée à Paris mais présente internationalement pour assurer sa promotion, la maison n’hésite pas à traverser les océans, on l’a vue au salon du livre de Montréal, au Québec. Emmanuel Carrère, l’un des auteurs de la maison, était dernièrement à Moscou pour présenter son dernier roman Limonov qui a reçu le prix Renaudot en 2011.
Les éditions sont également présentes au festival d'Avignon.


La maison - C’est une maison d’édition éponyme qui porte les initiales de son créateur. Elle est une référence en matière de publication littéraire d'avant-garde, pièces de théâtre, poésie et certains de ses livres ont reçu des prix prestigieux. La maison est agencée dans une pièce, réunissant plusieurs bureaux, aux plafonds hauts, qui croulent sous les livres. Elle est située au fond d’une cour pavée que se partagent les éditions Alternatives et La Table ronde, toutes les trois appartenant au groupe Gallimard. Dans la mer houleuse de l’édition, la maison P.O.L a traversé des années difficiles, jusqu’à contraindre l’éditeur à hypothéquer ses biens personnels, mais ce sont aussi les années exaltantes de l’époque Duras ! Il avoue avoir vécu des moments plus sombres entre La douleur (1984) et Truismes (1996), à quelques exceptions près comme les prix qu’obtient Emmanuel Carrère, dont le Femina pour La classe de neige en 1995.


La maison tente de survivre à cette longue période de résistance tout en publiant des auteurs audacieux et de la poésie. Ainsi depuis 1994 Antoine Gallimard, qui était actionnaire du capital pour 1/3, devient majoritaire à 88 % en 2003. Gallimard offre une sécurité à la maison pour soutenir l’exigence littéraire, le courage et la personnalité de Paul Otchakovsky-Laurens.


Une révélation - À la suite d’une interview de Jean Cayrol (directeur littéraire au Seuil) en 1966 qui évoquait le plaisir particulier qu’il avait à ouvrir les manuscrits, à s’y plonger et à découvrir un texte, un auteur, Paul Otchakovsky-Laurens ; jeune étudiant en droit, a voulu devenir éditeur.

Son choix s’est confirmé quand celui-ci a rencontré l’un de ses amis qui animait une revue de poésie. Ainsi, après avoir été stagiaire chez Christian Bourgois, employé comme lecteur chez Flammarion, au début des années 1970 dans laquelle il crée sa première collection intitulée « Textes », il s’oriente vers l’édition. Toutefois, l’aventure n’est pas sans écueils car en 1974, Henri Flammarion refuse de publier le premier roman érotique de Marc Cholodenco, le Roi des fées que P.O.L soutient. En 1977, il tente de publier les journaux de Charles Juliet, projet qui sera éconduit car il est impensable de publier les journaux d’un inconnu !


Il s’aventure donc chez Hachette en créant une collection qu‘il baptisera de son monogramme P.O.L. Plus tard, le rachat d’Hachette par Matra et le désaccord qui oppose P.O.L au nouveau patron ; Jean-Claude Lattès, qui "ne voit pas l’utilité de la littérature" et souhaite supprimer les collections étrangères, entraîne le départ soudain de P.O.L. De plus, la mort de Georges Perec en 1982, auteur et ami qu’il éditait accélère la donne. Le directeur de collection qu’il était décide de partir de chez Hachette et se lance dans la création de sa propre maison d’édition, avec le soutien financier de Flammarion : 1983 marque donc l’indépendance de P.O.L.


L'histoire du logo - Quant au logo, il s’agit d’une figure du jeu de go que l’on trouve à la page 566 de La vie mode d’emploi. Vibrant hommage rendu à George Perec qui incarne aussi l’« éternité ». La disposition des pastilles ; quatre noires et trois blanches, correspond, dans le jeu de go, à une partie qui ne se finit jamais, figurée par le mot qui signifie « éternité ».

Ce logo inscrit la fidélité vouée aux écrivains de son écurie. Quand P.O.L publie un écrivain, il s’engage également pour la suite de son œuvre quelle qu’elle soit : roman, poésie, théâtre, essai, comme signe d‘unité. La durée est quelque chose d’essentiel pour lui et un gage de maturation de l’œuvre.


La couverture - La couverture que l’on connait date du début des années 1990. C’est Maurice Coriat ; un très grand directeur artistique qui l’a créée, celui-ci a choisi la typographie et la matière de la couverture. Cette nouvelle maquette a donné une grande visibilité à la maison et a contribué à sa haute teneur esthétique. On lui reproche parfois d’être salissante mais elle peut se gommer.      La typographie « Gil » n’est alors pas encore usitée dans l’édition. De même, il a eu l’idée de cette matière côtelée à rainures pour la couverture et du papier, que l’on appelle du « Becket » – avec un seul /t/ – tous les livres ont une couverture semblable.

À l’exception des livres de poésie qui bénéficient d’une couverture un peu différente et des pages plus épaisses pour des raisons matérielles. En effet, comme le précise Paul Otchakovsky-Laurens, nous ne pouvons pas imprimer de la poésie sur du papier trop fin et cela dans le seul but d’éviter que le lecteur ne voit à travers, autrement les jeux typographiques risquent d’être brouillés.


« Mon seul critère de choix, 

c’est le trouble que me procure un livre »

(source : journal du Salon du livre, 2000)


Une maison éclectique mais cohérente dans ses choix - La maison est auréolée d’une certaine image à travers laquelle les écrivains se reconnaissent. Marie Darrieussecq a envoyé Truismes (directement à l’adresse personnelle de l’éditeur) car Camille Laurens publiait chez P.O.L et qu’elle avait adoré Philippe. De la même façon, Charles Massera et Nathalie Quintane ont adressé leur manuscrit à cette maison car elle éditait Olivier Cadiot. Cette connexion arborescente corrobore une cohérence dans l’identité de la maison.


Précédemment, Paul Otchakovsky-Laurens a édité George Perec, puis La douleur de Marguerite Duras en 1985 qui est son premier succès commercial avec 80 000 exemplaires vendus, mais aussi Truismes de Marie Darrieussecq avec 220 000 exemplaires, et La maladie de Sachs de Martin Winckler (prix Inter et plus de 300 000 exemplaires vendus) ou enore Emmanuel Carrère…

Depuis 1983, il s’attache à publier des auteurs qui travaillent la langue et le texte. Sa ligne de conduite « est de vendre les livres qu’il trouve et non trouver les livres qui se vendent », déclare-t-il dans Livres Hebdo en septembre 2001. C’est pourquoi, la poésie n’est pas un secteur marginal dans la production de P.O.L.


Métier plein de surprises, il tient à être également le seul à examiner les manuscrits. Par la suite, quand un manuscrit lui plaît, il le donne à lire à ses collaborateurs pour mettre à l’épreuve leur conviction. Sur plus de 3200 manuscrits envoyés par an, il en retient un à trois. La sélection est étroite. C’est une maison éclectique mais qui conserve une unité ; celle de ses choix dans la pléthore de genres littéraires publiés. Il privilégie une démarche esthétique et formelle qui passe aussi bien par des livres dits « faciles » que « difficiles ». Il n’y a pas de segmentations pendulaires franches, dans la mesure où il considère la littérature comme un passage à l’image de son métier d’éditeur. Le passeur de textes entre l’auteur et son lecteur. Il s'agit bien d'une rencontre entre un livre et un lecteur. Pour publier un manuscrit, il importe pour lui d'être touché par une voix singulière, une esthétique, une troublante alchimie qui résonne.


Il y a quelques semaines, il déclarait avec humour sur France Culture qu'il publiait les livres dont personne ne voulait. La péréquation acquise au fil des années lui permet de vendre les livres qu'il aime et cela lui permet d'accueillir de nouveaux auteurs. 


Qui n'hésite pas à prendre un risque éditorial pour publier - En quarante ans, il est devenu un modèle d’éditeur dans la lignée de Maurice Nadeau, Jérôme Lindon ou Christian Bourgois. La force de l'identité P.O.L est de ne pas privilégier seulement un type de littérature pour rester ouvert à l’accueil d’autres textes et de thèmes surprenants.      

  

À titre d‘exemple, citons Le Coprophile de Thomas Hairmont, qui au-delà de la scatophilie annoncée dans le titre, invite à une réflexion sur la quête de la matière, la consommation, et le recyclage. Le livre a reçu le prix Sade en 2011. P.O.L aime jouer dans le hors-champ, c’est pourquoi il n’a pas hésité à publier Lâcheté d'Air France de Mathieu Lindon (fils de l'éditeur Jérôme Lindon) qui raconte les pérégrinations de son auteur et ses déboires avec la compagnie. Selon son avocat, le procès était assuré. Publier présente une part de risque non négligeable, on citera Mathieu Lindon qui a publié un livre polémique intitulé Le Procès de Jean-Marie Le Pen (1998). Ce dernier obtint la condamnation de l'auteur et de l'éditeur par le Tribunal de Grande instance de Paris. On se rend compte que Paul Otchakovsky-Laurens n’hésite pas à prendre des risques pour diffuser les textes qu’il aime. Il fait également des campagnes de promotion pour qu’un auteur inconnu, apprécié de la maison, rencontre son public. C’est le cas de Gérard Gavarry, pour lequel P.O.L offrait son précédant livre pour un livre acheté !


Maison d'avant-garde à revendication littéraire - Tout d’abord, avant d’être une maison qui se situe en dehors des sentiers battus, c’est une maison qui effectue un réel travail de suivi, d’accompagnement des œuvres, et qui met en exergue une histoire entre un auteur et un éditeur. Sa revendication passe aussi pas la fidélité réciproque entre l’artiste et son promoteur. 

En 1982, le premier titre de Leslie Kaplan (L’Excès-l’usine Hachette/P.O.L) est publié par la collection P.O.L et celle-ci continue d’être éditée par P.O.L. De même Olivier Cadiot est chez P.O.L depuis 1988. P.O.L gagne la fidélité et cohérence de ses écrivains en publiant l’ensemble de leurs œuvres, les départs vers d’autres maisons sont assez rares. Il est l’éditeur de Mathieu Lindon et d’Emmanuel Carrère depuis plus de vingt ans et de Marie Darrieussecq et de Nicolas Fargues depuis plus de quinze ans. Exceptionnellement, nous pouvons citer les départs de Danièle Sallenave ou de Marie Redonnet. Concernant Richard Millet, P.O.L explique dans Livres Hebdo d’avril 2003, qu’ils se sont séparés d’un commun accord.


P.O.L revendique à bon escient son caractère avant-gardiste. Il dit souvent ne pas publier les livres qu'il aimerait avoir en bibliothèque mais ceux qu'il aurait aimé avoir écrits ! Il envisage le métier d'éditeur comme partir à l'Aventure pour retrouver l'étonnement, la surprise… 


Pas de comité de lecture ni d'agent(s) - Comme il l’a déclaré dans un entretien, il y aurait deux générations d’agents, ceux qui pensent qu’il faut favoriser les œuvres, leur connaissance à travers le monde et ceux qui sont enclins à fructifier le capital en oubliant la valeur culturelle du livre. Cela vise à transformer les relations éditoriales en relations commerciales car les agents interfèrent entre les auteurs et l’éditeur. Paul Otchakovsky-Laurens déclare en août 2002 dans la revue Ecrire et éditer, « je ne vois pas pourquoi quelqu’un viendrait s’interposer entre les auteurs que je publie et moi, économiquement ou littérairement, ou les deux. »

« Quand un agent prend 10 à 15% sur toutes les transactions, ça amène forcément les éditeurs à ne plus chercher le succès à court terme, parce que ces 10-15% manquants les empêchent de chercher de nouveaux talents qui ne sont pas forcément immédiatement rentables, qui ne le seront peut-être jamais…c’est toute une activité qui est repoussée vers des circuits marginaux comme les presses universitaires.»


Sa relation au texte est intuitive, il ne sélectionne pas les manuscrits selon une grille de lecture. C’est pourquoi, il est opiniâtrement contre les comités de lecture. Il recherche plutôt ce qui va le bousculer… il envisage son métier d’éditeur comme le passeur qui contribue à participer à l’éclosion, à la reconnaissance et à la diffusion de l’œuvre. Contrairement aux idées reçues, la plupart des manuscrits arrivent par la Poste. Près de deux fois par an, il loue une voiture pour la remplir de manuscrits en retard et file dans sa résidence à Nyons. Pour lui, il est essentiel de publier des œuvres qui soient également reconnues entre les écrivains, il nous donne comme exemple celui de Hubert Lucot, dont il est l’éditeur depuis plus de trente ans et qui n’est pourtant pas encore reconnu par le public, mais ses livres sont importants pour les initiés et d’autres éditeurs.


Ajoutons qu’il ne publie pas de littérature étrangère ou peu car il reste difficile d’apprécier une langue autochtone pour un non natif et il ne publie que ce qu’il lit. Il lui est arrivé de publier l’écrivain américain subversif Dennis Cooper car il peut lire aisément ses textes vifs et limpides mais il ne préfère pas s’aventurer dans une langue inconnue, au risque de ne pas avoir le même don de prescience qu’avec la langue française. Parfois, il fait traduire les vingt premières pages d’un manuscrit étranger, si cela lui plaît, il en commande vingt de plus. C’est ainsi qu’il a découvert l’auteur norvégien Jon Foss.


P.O.L Il défend une vision pérenne du métier d’éditeur - À travers la fidélité dont il fait preuve et son  engagement, sans visée proprement mercantile. Le respect de l’auteur et du texte sont prioritaires. En ce sens, il fait vœu d’abstinence concernant les corrections. Si celui-ci n’aime pas un passage ou y voit une imperfection, il préfère en parler avec l’auteur, qui en tient compte ou non, mais il n’y a pas de sanction !

P.O.L est une maison formaliste qui attache beaucoup d’importance au matériau verbal, au travail de la langue comme recherche inédite. Comme le disait le peintre Simon Hantaï, il n’y a pas de forme sans contenu. Quant au livre dématérialisé, il ne représente qu’1% du chiffre d’affaires de la maison et depuis vingt ans, il publie sans relâche la revue de cinéma Trafic.


Virginie Trézières 

3 commentaires

Avec José Corti et Minuit, certainement le trio gagnant de l'édition "à la française"... 

Super intéressant ! Voici un éditeur authentique. Merci encore de vos articles appétissants...

Merci, voici les parutions de janvier qui font déjà beaucoup parler d'elles ! Les premières pages sur le site ! Beaucoup aimé l'incipit d'EBT, Si tout n'a pas péri avec mon innocence. Langue finement ciselée et empreinte burlesque dès la première scène !!!

Emmanuelle Bayamack-Tam  : Si tout n'a pas péri avec mon innocence

Emmanuelle Bayamack-Tam : Mon père m'a donné un mari (théâtre)

Frédéric Boyer : Rappeler Roland  (Rappeler Roland - Chanson de Roland -Cahier Roland )

Pierre Patrolin : La Montée des cendres

Julie Wolkenstein : Adèle et moi