Gratuité des livres et droits d'auteur



A l’heure du numérique, le terme gratuit est dans toutes les bouches des lecteurs-internautes,  les mots clefs qui identifient les requêtes des  visiteurs des blogs en attestent, ils quêtent le verbe qui se donne et  les textes en lecture libre.


Les droits d’auteurs sont remis en question avec cette question désarmante : achète-t-on de la connaissance ?  

Les défenseurs de la gratuité et du libre accès aux livres arguent du fait que la culture est par essence quelque chose qui  ne peut se soumettre à l’échange commercial. Les choses de l’esprit ne sont pas une marchandise, la transmission des savoirs et de la pensée doit se faire gratuitement. 

La  "propriété  intellectuelle" jugée quasiment obscène est vilipendée, le travail de l’esprit n’est pas monnayable.  Bref, la culture n’a pas de prix …. Et l’expression, d’ailleurs "ça n’a pas de prix"  induit que cette chose qui n’a pas de prix  revêt une importance et une valeur  fondamentales.


Et pourtant ce mot, gratuit, trimbale quelque chose de terriblement ambigu, aux marges du bien et du mal,  gros mot ou vertu, tantôt carotte brandie par les publicitaires pour attirer le consommateur, tantôt bienfait donné aux cochons de citoyens qui ne le méritent pas (comme si la gratuité devait se mériter), ou encore acquis social  sacré pour lequel des générations ont dû batailler (sécu, congés, école…).


Ayant depuis tant d’année  souvent travaillé sans recevoir en échange un revenu, cette histoire de gratuité m’a toujours occupée.  L’idée est belle et généreuse mais difficile à défendre dans une société ultralibérale où les marchés  mettent tout le monde à leurs bottes et  lorsque les citoyens définissent ce qu’ils sont ou donnent une idée de leur valeur par un poids de kilos d’euros. On pèse tant de kilos d’euros. Magnifique, non ?


En ce qui concerne la littérature,  dire le monde n’est pas un travail….même si écrire demande beaucoup de labeur et de temps. Mais le temps s’achète-t-il ?  Question vertigineuse.


Difficile donc de me forger une conviction.  Jusqu’au jour où j’ai trouvé sur le net un texte en accès libre, intitulé De la gratuité du philosophe  Jean-Louis Sagot-Duvauroux. L’homme, de pensée marxiste, milite pour la gratuité des transports, des logements, de la culture… et travaille à la nécessaire transformation de notre société ultralibérale. C’est utopique, peut-être, mais toute révolution s’est construite sur une utopie. L’auteur, très critique sur les  dérives  du communisme reste néanmoins persuadé que ce parti est le seul capable de réfléchir à la démarchandisation de l’existence.  Il s’en explique dans cet article publié sur la site Périphéries.


Mais j’en reviens à ce problème de gratuité des livres. Pourquoi est-il logique qu’un texte puisse circuler gratuitement, sans être soumis aux droits d’auteur ?


J’ai donc lu le texte du livre De la gratuité disponible en libre accès sur le site de l’éditeur de Jean-Louis Sagot-Duvauroux, aux éditions de L’éclat.  Cette maison d’édition oeuvre pour libérer le texte , dit lyber*. Le terme lyber désigne donc l'oeuvre et non pas son support.

Ce lyber est gratuit et le livre est payant. Tout naturellement, comme le lyber, De la gratuité,  m’a vivement intéressée, j’ai acheté le livre, au prix de 12 €. Pourquoi, alors que je  disposais du texte en entier ? Parce que j’ai eu envie de pouvoir le relire, l’éplucher ailleurs que sur mon PC ou que sur une liseuse, le mettre dans la  chambre, dans la cuisine ou au salon ou même aux WC, bref, l’objet livre, le visuel ajoutait au poids du lyber, rien que de le voir m’engageait à nouveau dans ma réflexion. 

Or, justement, c’est sur quoi tablent les éditions de l’Eclat, comme me l’a expliqué l’auteur et  philosophe Louis Sagot-Duvauroux que j’ai contacté, désireuse qu’il m’en dise plus sur sa vision de la culture gratuite.

IMG04485-20140305-1720J’attendais de l’auteur, une réponse précise et j’en ai été pour mes frais, ce qui est d’ailleurs plutôt réjouissant : la réponse politique à la gratuité ne peut pas être une chose tyrannique imposée, il n’y a pas de réponse encore, juste des pistes de réflexion a -t-il insisté.

 Notre conversation m’a plu. Sagot-Duvauroux estime que le livre, en tant qu’objet support  est bien une marchandise mais que le texte n’en est pas et il le démontre fort bien. Le texte d’un livre est une verbalisation de la pensée. L’oeuvre est un texte et non un livre. Il ne peut y avoir un péage et une privatisation du langage.


Prenons un texte quelconque.  Le lecteur le lit, il en parlera le lendemain à des amis, le commentera, en lira des passages. Y-a-t-il  offense à la  propriété intellectuelle à s’emparer du texte de l’auteur ? Un enfant qui récite une récitation contemporaine, donc soumise au droit d’auteur doit-il s’acquitter d’une taxe ? Enfin, est-il normal que les éditions Gallimard m’aient réclamé 25 euros pour avoir lu en public 2  petites pages du livre de Philippe Delerme,le Trottoir au soleil , chose si indécente à mes yeux que je n’ai pas payé malgré les relances.


Le droit d’auteur date du XVIII ème siècle, il   a été mis en place pour libérer l’activité créatrice des mécénats auxquels elle était, de fait, soumise. Mais depuis, il est nécessaire de reconsidérer cette aliénation du langage et du savoir. Pour vous faire une idée, je vous invite à lire, gracieusement donc,  le lyber de Sagot-Duvauroux, je ne vais pas le paraphraser. 

Mais ce qui m’intéresse dans le chapitre consacré à la propriété intellectuelle, c’est la justesse du fait que les droits d'auteur ne rémunèrent pas l'auteur pour la qualité ni  la quantité de son travail fourni, c'est juste un intéressement à la commercialisation de l’objet livre. Et que l'auteur  soit un génie ou un écrivaillon sans talent ne change rien à l’affaire,  actuellement un Sultizer vaut un Duras dit ainsi le philosophe Sagot-Duvauroux, et un Musso  un Quignard ajouterais-je, car en effet  ils se vendent tous aux environs de 18 €. 

Dix ans de recherche et de travail d’écriture seront tarifés de la même façon qu’ un mois de rédaction facile. On peut donc s’interroger sur la valeur de cette commercialisation, qui du reste laisse pour compte ce qui n’est pas "vendable" comme la poésie,  pourtant fondatrice de la  littérature et aujourd’hui bien vivante, loin du formatage, la poésie vit et se transmet quasiment gratuitement.


Sagot-Duvauroux ne dénie pas le bien-fondé de l’intéressement de l’auteur par l’éditeur à la vente des livres objets et de ses dérivés, mais déplore que  la propriété intellectuelle, cette notion finalement presque indécente, ne confisque la circulation de la pensée et du savoir. 

Il nous engage à réfléchir sur la désacralisation du droit d’auteur et de la propriété intellectuelle qui ne financent jamais l’oeuvre ni la pensée.  L’utopie est éclairante m’assurait le philosophe  Parce que, parlons-en, qui vit de son écriture ? Peut-être 2 à 3 % des auteurs ?  Jean-Louis Sagot-Duvauroux me disait aussi que si le travail et  les écrits d’un écrivain , quelque soit son genre,  intéressent, celui-ci trouvera alors des sources de revenus liés à ses textes : conférences, articles, débats etc…Tout reste à inventer et à reconstruire.


Anne Bert 


→ lyber De La Gratuité 


→ Editions de L'éclat

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