Quelques raisons supplémentaires de lire Génération A de Douglas Coupland

La première : un roman total tel que le grand Romain Gary le rêvait dans son Pour Sganarelle (1), qui fut pour lui – non pas le coup d'archet des tziganes cher à Barrès – mais le plus fort coup de pied au cul jamais reçu par un écrivain du petit milieu littéraire : « la rentrée IKEA  » Nothomb, Gavalda, Beigdeger, Moix et j'en passe, du temps : Faye, Sarraute, les derniers hussards... Il s'en est bien vengé depuis. Ceci est une autre histoire. Pas vraiment, dans ce Pour Sganarelle gît l'antidote à toute médiocratie éditoriale. Syndrome de Tourette, les grands écrivains choquent toujours et leur génie souvent passe pour obscène. Particulièrement au pays des Précieuses où "ils offensent grand-père et grand-mère", simplement en étant ce qu'ils sont – singulier-pluriel, ardents adeptes de la confusion des temps, fabricants d'hyperboles et d'oxymores inédits. Recensez le nombre d'anciens premiers de classe, Khagneux, Normaliens et professeurs présents au catalogue IKEA, ajoutez-y les auto-proclamés "maudits institutionnels" et dénombrez ensuite le nombre d'écrivains véritables en cette rentrée, la suivante, la précédente depuis que l'édition s'est mise en tête d'être du Grand Marché ! Grosse conne ! Excusez, le syndrome. Fichu Tourette, il revient. Le marketing éditorial n'obtiendra jamais le score de Breaking bad ou de Homeland ! Vieille pute, pardon, ignoreras-tu longtemps encore qu'il ne suffit pas d'appliquer la recette ? Copier n'est pas écrire. Excepté à promouvoir des Douglas Coupland. Le hic, presqu'impossible en France. Lisez Gary, il explique pourquoi. Moi, j'ai promis à l'animateur du Salon Littéraire et bon ami Loïc de ne plus faire de longs papiers.


Je me souviens du regain d'amitié qui m'était venu pour Barrès, découvrant qu'il avait obtenu un glorieux 1/20 à l'épreuve de français du Baccalauréat français. Elle portait sur un de ses auteurs favori : Corneille.


N'allez pas croire que pourfendant la littérature des professeurs, j'admire l'écriture de balai chiotte en cour aujourd'hui : deux tendances forte, deux couleurs post célinienne ou guimauve, elles annihilent l'une l'autre et se caractérisent toute deux par une sensiblerie noire ou rose où l'intelligence et la morale n'ont point de part.

Pour complément d'information, lisez l'unique texte théorique de Gary et son commentaire dans mon Gary and co (2). Désolée pour l'autopromotion, en panne d'attachée de presse ces temps-ci et même de chevaliers servants...


La seconde : Génération A, s'impose comme une forme de chef-d'oeuvre. Rare objet qu'un roman contemporain sans aucune pollution égotique, composé de main de maître par un écrivain au service d'une époque, venu une lanterne à la main pour éclairer le monde. Phare dans la tempête, lampe éponyme, luciole sur le grand chemin des hommes, dont on sort roué de coups et pourtant – toute la littérature – heureux. Pas la moindre complaisance. Seul le motif de sympathie obsède. À ceci une raison, Douglas Copland n'est pas un geek, un accro de jeux en réseau, une jeune anorexique, une bête à bon dieu, un beau-gosse de l'Ouest américain, qui conduit en tenue d'Adam la moissonneuse batteuse de son connard d'oncle, pas plus qu' un parfait réceptionniste srilankais, bossant chez Abercrombrie & Fitch "symbole ardent de la réussite planétaire" mais un cinquantenaire, penché avec respect et stupeur sur notre monde. Il sait la fin de la Galaxie Gutenberg advenue, la démence de nos Faust, le diable en lice pour la destruction du monde et s'y oppose avec la seule arme qu'il sache : le romanesque. Pas apocalyticien pour un sou, ce brave Canadien n'attend ni les Cosaques ni la Parousie. Du Décameron à Joyce, une ligne, homérique. Pas de critique sociale ni de mépris, Coupland ne nous donne pas à rire des délires et des ridicules de ses personnages mais les inscrits comme la conséquence la plus logique de la démence du Grand Marché et de l'entoilage de la population mondiale. L 'exact livre que j'attendais. Le livre que le monde attendait. L'antidote. Pas vraiment fendard, le survivialisme comme unique horizon d'attente...


Romance n'est pas féerie et avant d'être tous cartoonés, indifférents au grand renversement, sous médocs, plus jamais amoureux et libérés de toutes attaches et de tous désirs, lisez, faites lire Génération A.


Si le livre vous déplaisait ne m'adressez plus la parole !  Paraphrasant Diderot en son Éloge de Richardson, père de toute la critique littéraire qui vaille et ait jamais value "Je préfère, mes Amis, vous voir morts, qu’insensibles aux beautés de Coupland."



Ensuite il vous restera à élever des abeilles, à lire ou à relire Génération X, Toutes les familles sont psychotiques, Girlfriend dans le coma, Hey, Nostradamus ! et Eleanor Rigby... acte pris de la grande métamorphose accomplie dans la chair, l'âme, le cerveau de l'individu en tous points du monde et en trente ans !


Sarah Vajda


Douglas Coupland, Génération A, Au Diable Vauvert, 368 pages, septembre 2013, 20 eur


(1) Paru chez Gallimard en 1965. La quatrième de couverture annonçait : «  Valet du roman, je suis un Sganarelle aux gages du chef-d'oeuvre, gages que je ne toucherai probablement jamais. »

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