Les derniers jours de Drieu La Rochelle

Partant du récit des derniers jours de Pierre Drieu La Rochelle (1893-1945), formellement du 5 août 1944 au 15 mars 1945, à savoir sa première tentative de suicide — le jour de la messe d'enterrement de Ramon Fernandès —, à sa dernière tentative, réussie, Aude Terray fait la biographie du "fantôme embarrassant qui hante de son charme triste la littérature française". 

Paris est libéré, les collabos doivent fuir ou se cacher. Drieu, qui sait avoir sauvé la vie de nombre de personnalités (dont Jean Paulhan), et qui peut se targuer d'être ou d'avoir été l'ami d'André Malraux aussi bien que de Louis Aragon (devenu le grand inquisiteur des Lettres !) pense ne pas devoir craindre. Pourtant son nom est rapidement cité et une enquête est diligentée contre lui ; mais il refuse de fuir, il assume ses choix politiques et culturels, mais il refuse d'être emmené et jugé par des gens dont il ne reconnaît pas la légitimité. Alors il se terre, sur les conseils de son amante Christiane Renault (la femme de l'industriel), espère que le temps vienne rapidement où on laissera les intellectuels en paix. 

Drieu a collaboré activement, s'est affiché comme l'ami de l'occupant notamment de Gerhard Heller, homme de lettres allemand qui sera Sonderführer en charge de la "surveillance" des la production littéraire française, et Ernst Junger, et en participant avec d'autres à deux voyages comme ambassadeur des lettres française dans l'Allemagne nazie. L'incompréhension actuelle sur l'engagement de Drieu naît de ce choix fondamental qui n'est pas, quoi qu'on en dise, un désir de collaboration au sens strict du terme, mais un attrait pour la puissance et la force qu'incarne alors Hitler et le conquérant allemand (plus tard il s'entichera de Staline) doublé d'un pan-européanisme foncier et d'une opportunité d'asseoir son autorité sur le monde des Lettres. 
Mais Drieu est un "salaud" à abattre pour les écrivains "résistants" qui foncent le Comité National des Ecrivains (CNE), et entament une période d'épuration des Lettres, soit en interdisant les œuvres (de Giono, Céline, Chardonne, Maurras, Drieu) soit en condamnant à mort les plus violents collaborateurs comme Robert Brasillach. Drieu se cache, d'abord en province, puis à Paris, voit tout le monde autour de lui fuir ou se faire arrêter, condamner, exécuter. Drieu hésite entre l'atermoiement sur sa triste vie et un renouveau dans le travail littéraire, attend les visites de ses "femmes", s'empresse chaque matin à lire la presse et noircit son journal intime. Il enrage contre la médiocrité de l'époque, et repense à tout ce qui a fait sa vie, ses amours, ses premières poésies et ses pièces de théâtres refusées... C'est toute la vie d'un homme en lutte contre son héritage familial et son désir de reconnaissance littéraire, aussi bien que la plupart des grandes personnalités littéraires dont Aude Terray parvient à faire un portrait intelligent et touchant.

Malgré quelques imprécisions (notamment sur Emmanuel Berl), le récit est très agréablement mené et permet de rendre compte de la vie triste de cette figure centrale des lettres françaises, de celui qui a toute sa vie été dans l'attente d'un grand amour et d'un vrai succès littéraire. 


Loïc Di Stefano

Aude Terray, Les Derniers jours de Drieu La Rochelle, Grasset, janvier 2016, 18 eur

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Drieu,Céline.Même combat?