« Comment j’ai arrêté de CONsommer » de Frédéric Mars, une tentative de retour aux vraies valeurs

Lorsque j’ai reçu des Éditions du moment le service de presse de l’ouvrage de Frédéric Mars, Comment j’ai arrêté de CONsommer, je me suis dit, ah voilà bien une lecture qui va me conforter dans mes renoncements à poursuivre les chimères du plaisir immédiat et marchand… et cette lecture va me changer un peu de l’érotisme. J’ai donc abordé les premières pages avec une bienveillance très peu critique, je suis une femme de peu, posséder me laisse assez froide et mises à part les chaussures qui exercent sur moi un attrait complètement incompréhensible, je n’ai pas la fièvre acheteuse. La vue du caddie brisé et de la syllabe « CON » écrite en gros et en rouge sur la couverture m’a mis l’eau à la bouche, ce qui, pour un projet de décroissance, est un exquis paradoxe.

 

L’auteur a voulu faire partager aux lecteurs une expérience de déconsommation familiale sur toute une année. Frédéric Mars n’a pourtant rien du baba cool prêt à aller élever des chèvres dans le Larzac, ni à se suffire d’un éclairage à la bougie. Il confesse être un geek-addict irrécupérable, complètement cigale, cyber acheteur ; son épouse une acheteuse compulsive aimant le beau et leur fils de 7 ans est déjà accro aux penchants des parents. D’un milieu social plutôt bobo et aisé, l’un et l’autre travaillent en indépendants. Ce décor posé, un évènement banal – une brocante à laquelle Frédéric Mars participe pour vider sa cave – déclenche chez l’auteur une prise de conscience et une avalanche d’analyses et de réflexions existentielles.


Refiler, évaluer et faire un petit profit avec toutes ses vieilleries brinquebalantes dont il ne veut plus le remplit de malaise et même de honte. Pourquoi ne pas les avoir données à Emmaüs ? Et comment peut-on justifier un tel entassement de produits et de choses qui ont si peu servi. Que lui ont apporté ces achats ? Étaient-ils utiles ? Combien de temps ces objets lui ont-ils fait plaisir ? Et lui ont-ils réellement apporté du plaisir ? Et surtout comment mesurer tout ça ? Il baisse tous les prix et revient chez lui bien décidé à réfléchir sur ses comportements.

 

Il commence par rechercher la définition de chaque mot du champ lexical de la consommation. Vente, profit, consommer, marchandage, prix, etc. Il découvre dans sa deuxième acception que consommer veut dire détruire. « Action de faire des choses un usage qui les détruit et les rend ensuite inutilisables. » De fil en aiguille, il comprend que toute cette histoire de consommation relève du fétichisme et qu’il s’est éloigné des autres et de lui-même, la meilleure preuve étant sans doute de réaliser qu’à la fête de fin d’année de son fils, il ne regarde pas son fils, mais le filme avec sa dernière trouvaille high-tech, film qu’il ne regardera même pas. La gabegie du consommé, la tyrannie de la publicité et des marques, et l’aliénation lui paraissent insupportables.


Après un passage dans sa banque où il solde son crédit revolving et supprime ses cartes bancaires, ses prélèvements, ses abonnements en tout genre, le repentant décide de passer à l’action. Il doit bien sûr convaincre femme et enfant, complètement sonnés par l’annonce de sa croisade, ce qui n’est pas simple… Toujours est-il que la petite famille se met à écrémer tout ce qui est inutile, à renoncer à tout ce qui ne passe pas l’épreuve de l’indice MBA dont je vous laisse découvrir la signification. Passée l’euphorie des premiers sacrifices, Frédéric Mars  qui ne fait rien à moitié, réalise qu’il se coupe peu à peu de son environnement social, plus de sorties culturelles coûteuses, plus de resto, plus d’achats de CD (la crise du gamin lorsque le père propose deux heures gratuites à écouter du Telemann à l’orgue à l’église est assez cocasse), jusqu’aux amis qui font la gueule face à qu’ils pensent être une pathologie aiguë de radinerie. Quelques passages savoureux à ce sujet : dans quelle mesure l’amitié tient-elle à une représentation sociale ? Acheter, offrir un cadeau est-ce un moyen de se faire aimer et de payer le sentiment amical ? Le chapitre sur les vacances passées en parasite chez des amis est à ce titre très révélateur.

 

Radinerie ou prise de conscience ?

 

Pour tout dire, à mesure que j’avançais dans ma lecture, je me recroquevillais sur moi-même, parce que, autant vous l’avouer tout de suite, la déconsommation vue par Frédéric Mars, ce n’est pas drôle du tout, mais alors pas  du tout… Genre ayatollah, ou rigueur protestante pour le moins, on ne fait pas mieux. Et je me suis dit : surtout planquer ce bouquin afin qu’il ne soit pas lu chez moi où l’écologie et la consommation minimaliste, le recyclage du moindre truc et le compostage des épluchures me semblent parfois un chemin de croix. J’ai donc camouflé le livre sous le lit. Surtout parce que Frédéric Mars n’apporte même plus de bouteille de vin chez les copains quand il est invité. Et ça, c’est franchir la ligne rouge ! OK pour déconsommer, mais il ne faut pas pousser, le côté festif peut tout à fait subsister à cette chasse à l’inutile. Rien qu’une omelette oui, mais avec une bouteille de vin ! La générosité passée au compresseur de la déconsommation, non ! À ce propos, la réaction des copains face aux cadeaux made in home du couple de décroissants, rappelle Le Père Noël est une ordure.

 

Bien qu’il s’en défende et analyse cet aspect de la chose, je suis tentée de soupçonner Frédéric Mars de légitimer, par ce comportement de déconsommation excessive, un penchant inconscient à la radinerie. Je m’explique : il refuse de dépenser de l’argent pour partir en vacances, mais squatte chez des amis avec piscine et bonne bouffe… Donc il profite de cette surconsommation chez autrui. Est-ce cohérent ? Pourquoi ne va-t-il pas camper à la belle étoile ? Tout  comme il n’apporte plus rien chez ses amis (parce qu’on ne « paye » pas avec de l’argent un moment d’amitié), mais il demande quand même pour son dîner de Noël que chacun de ses amis apporte une bouteille de champagne…

 

Pourtant, ce bouquin est nécessaire et devrait être lu par tout un chacun parce qu’il révèle bien le non-sens de nos comportements. Peut-être de quoi refréner un peu nos réflexes CB… Frédéric Mars ne fait pas l’économie non plus de s’interroger aussi honnêtement sur les dommages collatéraux d’une déconsommation. Sans doute est-il même intéressant d’aller jusqu’au bout de la démonstration, même excessive, pour nous forcer à cogiter un peu sur ce qu’il est possible de restreindre pour nous libérer des diktats consuméristes et nous retrouver face à nous-mêmes et aux autres. Avec même ce possible fil directeur : toutes les économies réalisées peuvent être mises au service de réels plaisirs partagés. Les comptes sont vite faits, additionnez l’inutile et glissez les économies dans un cochon rose, pour voyager, par exemple…


Enfin, ce livre est parfois très drôle : il faut reconnaître que Frédéric Mars reste lucide, il garde les yeux grand ouverts sur son environnement familial, amical et social.

 

Anne Bert

 

Frédéric Mars, Comment j’ai arrêté de CONsommer, Journal d’une année de lutte contre l’enfer marchand, Éditions du Moment, mai 2012, 244 pages, 18,50 €


Lire également la critique de Gerald Messadié sur cet ouvrage

Aucun commentaire pour ce contenu.