L’auteur, combien de divisions ?

Titanesque travail d’enquêteur que celui réalisé par Jacques Boncompain (frère du célèbre peintre, Pierre Boncompain) : exploration des archives de la Comédie-Française et de Beaumarchais, complétée par une fouille approfondie du Minutier des Archives nationales, sans oublier la BnF, la Bibliothèque historique de la ville de Paris, celle de l’Arsenal ainsi que de l’Hôtel de Ville. Bref, en deux tomes Jacques Boncompain a cerné toute la problématique de la condition du droit d’auteur… et brise un tabou : aborder l’histoire de la création littéraire (puis de la danse, de la musique, du cinéma, etc.) du simple point de vue de l’argent.


Combien les auteurs gagnent-ils ? Quels contrats ? Comment gèrent-ils leurs droits ?

Car, si depuis l’Antiquité (jusqu’au XVIIIe siècle) l’honneur dominait et les auteurs étaient respectés et récompensés selon l'usage, voire se drapaient dans une morgue toute suffisante préférant l'errance et la pauvreté au seul bénéfice de leur œuvre, la situation tourna vinaigre dès la seconde moitié du XVIIe siècle par l’introduction d’une nouvelle loi réglant au pourcentage, et non plus au forfait, les auteurs dramatiques. Les comédiens refusant de jouer le jeu et lésant un peu plus chaque fois les auteurs, allant jusqu’à manipuler les hommes politiques pour se soustraire légalement à leurs obligations. Si Voltaire cédait volontiers ses droits aux comédiens (il en avait les moyens !), Beaumarchais tenta, en vain, de faire accepter un règlement par les théâtres de province. La situation s’envenima jusqu’à la Révolution.

 

C’est le 24 août 1790 que Mirabeau facilita l’intrusion de La Harpe au sein de l’Assemblée constituante pour réclamer une loi : mais il fallut faire le coup de poing encore quelques temps pour qu’enfin le décret du 13 janvier 1791 établisse la propriété dramatique sur l’ensemble du territoire français.

 

Au XVIIIe siècle, si les œuvres dramatiques constituaient le quart des titres publiés, elles représentaient le tiers des ventes, ce qui incitait fortement les auteurs à s’unir pour lutter contre la diffusion par voie de presse, l’édition non autorisée, bref la contrefaçon ! Ainsi, le 30 août 1777, Louis XVI avait-il adopté six arrêts sur la librairie stipulant que le privilège en librairie est une grâce fondée en justice et qui a pour objet, si elle est accordée au libraire de lui assurer le remboursement de ses avances et l’indemnité de ses frais. Le roi autorisa aussi l’auteur à distribuer ses œuvres, et les descendants bénéficiaient à perpétuité de la jouissance des droits. La Révolution qui supprima ces privilèges jeta le discrédit sur le droit du libraire et la contrefaçon prit des proportions alarmantes.

 

Le premier tome aborde la période du retour de Louis XVIII à la chute de Napoléon 1er, période cruciale au cours de laquelle la condition des auteurs va profondément évoluer. Les pionniers de ce grand remaniement seront les auteurs dramatiques, suivis très vite par leurs pairs littérateurs, puis les compositeurs. Ce sera la création de la Société des Gens de Lettres, puis viendra la SACEM. La République des Lettres n’a plus honte de demander justice pour son travail et sa valeur : Voltaire a fait sauter la banque des idées reçues !
Oubliés les grands principes du désintérêt car l’honneur seule ne nourrit pas son homme… La gloire de l’auteur doit, désormais, se monnayer.

 

L’histoire des revenus des auteurs révèle mille pratiques, tentations, ralliements, défections, etc. mais surtout elle met en lumière l’histoire des sociétés humaines parmi lesquelles les auteurs sont nés et y ont vécu. Et soudain le champ des possibles s’ouvre sur un infini : page après page (le tome 2 est une longue suite de croustillantes anecdotes, historiettes et autres démêlés qui font souvent bien plus qu'une loi pour faire avancer les choses), l’on découvre et savoure la chronique d’un petit groupe du genre humain qui révèle, à travers ses aventures, l’immensité de l’histoire de l’humanité toute entière.

 

François Xavier

 

Jacques Boncompain, De Scribe à Hugo – La condition de l’auteur (1815-1870), préface de Laurent Petitgirard et Jean-Claude Bologne, Honoré Champion, 2013, 840 p. – 55,00 €

 

Jacques Boncompain, De Dumas fils à Marcel Pagnol (1871-1996), préface de Jean-Claude Carrière, Honoré Champion, 2013, 864 p. – 55,00 €

 

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